Le Kazakhstan muscle sa défense territoriale : simple précaution ou virage militaire ?
défense territoriale

Le 5 juin 2025, le Sénat du Kazakhstan a validé une loi majeure portant sur la défense territoriale, réformant profondément l’organisation militaire en intégrant les civils à son dispositif de sécurité. Ce texte, jugé nécessaire par le gouvernement face à une conjoncture internationale « imprévisible », marque un tournant dans la doctrine sécuritaire du Kazakhstan. Officiellement, il s’agit de se préparer « en amont ». En réalité, la portée de cette loi va bien au-delà d’un simple remaniement administratif.

Une défense territoriale pour un monde instable : le Kazakhstan anticipe

Le Kazakhstan aura désormais sa propre « défense territoriale ». Pourquoi maintenant ? Interrogé par le média kazakhstanais Kursiv sur le caractère soudain de cette législation, Sultan Kamaletdinov, le premier vice-ministre de la Défense, a répondu sans détour : « Vous vouliez que cela se fasse dans dix ans ou hier ? Hier, c’est trop tard. Et dans dix ans, on ne sait pas… ». Cette déclaration résume à elle seule l’état d’esprit régnant à Astana : il faut agir avant que le pire ne survienne.

L’adoption de cette loi de défense territoriale vient établir une hiérarchie claire en cas de mobilisation, tout en ajoutant une base légale pour des actions auparavant ambiguës. Le Kazakhstan, bien qu’officiellement non engagé dans aucun conflit régional, n’ignore pas les tensions croissantes à ses frontières, entre militarisation russe, rivalités chinoises et ambitions occidentales dans la zone caspienne.

Une armée civile : entre volontariat et préparation de crise

L’un des volets les plus frappants de la nouvelle loi réside dans la création de formations de défense civile, entièrement composées de volontaires. Pour Sultan Kamaletdinov, l’initiative repose sur une logique simple : « Si un citoyen dit qu’il veut protéger sa boulangerie ou sa maison, pourquoi l’en empêcher ? ».

Dans le détail, les unités de défense territoriale combineront désormais forces armées locales, services de sécurité, brigades spéciales et civils engagés sur base volontaire. L’objectif ? Garantir une couverture opérationnelle sur l’ensemble du territoire, surtout dans les zones éloignées des centres névralgiques militaires.

Et ce n’est pas tout : les grandes entreprises nationales seront tenues de participer à cet effort collectif en renforçant les infrastructures critiques. Une manière, peut-être, de créer une mobilisation économique coordonnée face aux menaces systémiques — qu’elles soient naturelles, technologiques ou militaires.

Réquisition de biens privés : une ligne rouge officiellement franchie

C’est sans doute l’article le plus controversé — et potentiellement le plus explosif — de la loi. En cas de « menace », l’État pourra désormais réquisitionner bâtiments, véhicules, équipements et propriétés privés appartenant aux citoyens ou entreprises. Le tout avec une compensation… certes, mais seulement à la « valeur du marché ».

Cette disposition résonne comme un signal fort : en situation critique, la souveraineté individuelle cède le pas à la souveraineté nationale. L’usage des ressources privées par les autorités militaires, encadré mais bien réel, repositionne le rôle de chaque citoyen dans l’appareil de défense de l’État. Un glissement qui ne manquera pas d’alimenter les débats.

Ce nouveau cadre législatif n’est pas qu’un instrument défensif. Il s’agit aussi d’un outil d’encadrement politique et social. Désormais, chaque citoyen devient un acteur potentiel de la défense territoriale. La notion de « menace » s’élargit à tel point qu’elle justifie la prise de contrôle des biens civils et la coordination généralisée de tous les niveaux administratifs — du président aux gouverneurs locaux. Ce dispositif préfigure-t-il un état d’exception permanent, une forme d’anticipation militarisée du quotidien ? Rien n’est dit, mais tout est désormais permis. Il ne reste plus qu’à observer comment ce nouveau modèle kazakh de mobilisation intérieure sera mis en œuvre… ou évité.

Par Rodion Zolkin
Le 06/06/2025

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