Et si demain, on réglait son café ou son plein d’essence avec du Bitcoin à Almaty ? Le Kazakhstan semble bien décidé à forcer les verrous de la finance traditionnelle avec une arme qui fera grincer des dents les conservateurs du billet de banque.
Au Kazakhstan, les cryptomonnaies entrent dans le circuit bancaire
Le 3 juin 2025 à Almaty, la Banque nationale du Kazakhstan a mis les pieds dans le plat : elle a donné le coup d’envoi d’un projet pilote autorisant les établissements bancaires à émettre des cartes de paiement adossées à des cryptomonnaies. Autrement dit, une carte bancaire classique, mais connectée à un portefeuille numérique sur Binance ou autre plateforme enregistrée dans l’Astana International Financial Centre (AIFC).
Ce lancement s’inscrit dans un plan gouvernemental plus vaste, visant à positionner le pays comme pionnier régional dans l’intégration des actifs numériques. L’opération est à la fois technique, politique et… marketing. Mais comment cela fonctionne-t-il vraiment ?
Cryptomonnaies : un paiement instantané, une conversion invisible
Ces nouvelles cartes n’exigent plus de passerelle manuelle pour transformer vos cryptomonnaies en tenges. Elles s’appuient sur une infrastructure développée entre les banques participantes et les prestataires de services agréés du MFCА. Lors d’un achat, le solde en cryptomonnaie est liquidé instantanément sur le marché du centre financier, et son équivalent est crédité en monnaie fiduciaire pour la transaction.
Selon le communiqué de la Banque nationale du Kazakhstan, « le paiement est effectué en monnaie réelle après une conversion immédiate des cryptoactifs ». Plus besoin donc de retirer ses ethers pour les reconvertir soi-même. Une simplification ? Certainement. Une dépendance aux bourses centrales agréées ? Sans doute aussi.
Cinq banques dans la boucle, mais aucune obligation d’adhésion
Le projet, bien que piloté par l’État, n’impose rien aux établissements bancaires. Pourtant, cinq grandes institutions ont déjà sauté dans le train numérique : Halyk Bank, Forte, Freedom, RBK et Altyn Bank. Pour Timur Suleimenov, gouverneur de la Banque nationale, l’intérêt des banques est stratégique : « Ce sont des banques actives et influentes. L’accès via leurs cryptocartes permet une couverture immédiate dans tout le Kazakhstan, pas seulement à l’AIFC ». Timur Suleimenov insiste : « Ce n’est pas une obligation réglementaire, chaque banque décide seule. Mais techniquement, tout est prêt. Personnellement, j’aimerais bien tester moi-même cette technologie ».
Une ambition étatique : élargir la sphère des actifs numériques
Derrière ce test de cartes se dessine une stratégie bien plus large. Outre la possibilité d’acheter un hamburger avec ses cryptoactifs, le Kazakhstan annonce une batterie de projets dans le domaine des actifs numériques : émission de stablecoins adossés au tenge, tokenisation d’actifs financiers et immobiliers, garde d’actifs numériques, et mise en place de plateformes de négociation.
Dans le communiqué de la Banque nationale, ces projets sont décrits comme essentiels pour « renforcer la sécurité juridique des échanges, créer des infrastructures modernes, et assurer l’interopérabilité des systèmes entre cryptoactifs et finance traditionnelle ». À noter que ce chantier implique également des ajustements législatifs. Un projet de réforme est en cours pour encadrer juridiquement la circulation des actifs numériques non garantis et créer un statut pour les actifs financiers numériques adossés.
Le Kazakhstan veut sa CryptoCity : du gadget à la vitrine géopolitique
À moyen terme, le président Kassym-Jomart Tokaïev souhaite que le pays dispose d’un espace pilote — une « CryptoCity » — dans lequel les monnaies numériques seraient pleinement utilisables. Un fantasme de geek ? Non, un levier diplomatique, économique et symbolique pour un État qui cherche à renforcer son autonomie financière et sa réputation d’innovation.
La logique est claire : attirer les fintechs, structurer un écosystème réglementé, devenir un hub dans la région post-soviétique. Le Kazakhstan joue gros. Et ce jeu passe par la carte.