Kirghizstan : Asman, la ville écologique à 20 milliards, ne verra jamais le jour
Asman

Un mégaprojet futuriste, des milliards promis, un lancement en grande pompe… et un enterrement discret. Voici l’histoire de ce qui devait être le symbole de la modernité kirghize.

Asman : une utopie verte entre lac et illusions

Le 30 avril 2025, le gouvernement du Kirghizstan a officiellement mis un terme à l’accord d’investissement pour la construction de l’éco-ville Asman. Annoncé en juin 2023 et initié à la fin de l’année 2024, ce projet pharaonique situé dans la région d’Issyk-Koul prévoyait de bâtir une cité écologique de 700.000 habitants sur la rive nord du lac éponyme. Cinq mois après la signature du contrat, les rêves d’urbanisme vert s’effondrent dans le silence bureaucratique.

Il fallait oser. Concevoir une ville neuve sur plus de 4.000 hectares en pleine steppe kirghize, y injecter jusqu’à 20 milliards de dollars, promettre infrastructures écologiques, quartiers résidentiels futuristes, centres technologiques, zones de loisirs, et plus encore. Le projet Asman, piloté conjointement par le gouvernement kirghiz, la société chinoise CITIC Merchant et l’entreprise locale Modoul House, était censé faire émerger une métropole modèle au bord du lac Issyk-Koul.

La première pierre avait été symboliquement posée à l’été 2023. L’État promettait de transformer ce site désertique, situé près du village de Chyrpykty, en une cité high-tech dotée de logements modernes, d’énergies renouvelables et d’un urbanisme « intelligent ». À terme, ce sont entre 500.000 et 700.000 personnes qui auraient dû s’y établir. Mais voilà : tout cela s’est évaporé. Le 30 avril 2025, l’annulation de l’accord a été actée, enterrant le projet avant même le premier chantier effectif.

Un mirage à 20 milliards d’euros au cœur du Kirghizstan

Le coût estimé du projet Asman – 20 milliards de dollars, soit plus de 18,7 milliards d’euros – aurait dû éveiller quelques soupçons dès le départ. À titre de comparaison, cela représente plus du double du budget annuel de l’État kirghiz.

Le financement devait démarrer par un apport initial de 480 millions de dollars pour l’infrastructure de base. Une somme que les investisseurs – principalement la société chinoise CITIC Merchant – avaient accepté d’engager. Mais ni les flux financiers, ni les garanties bancaires ne semblent avoir suivi. L’accord d’investissement conclu le 23 novembre 2024 a été résilié par une décision signée par le Premier ministre Adylbek Kasymaliyev. L’ancien décret approuvant le projet, en date du 13 novembre 2024, a également été annulé.

Les amis du pouvoir au cœur du projet Asman

Le nom d’Elaman Toktobekov, cofondateur de Modoul House, apparaît à plusieurs reprises dans les investigations médiatiques. Rappeur de formation, il est surtout connu pour être un intime du fils du président kirghiz Sadyr Japarov. Selon OCCRP, Temirov Live et Kloop, ce n’est pas le premier projet d’envergure confié à des proches du pouvoir.

En effet, Modoul House était déjà impliquée dans la construction de résidences officielles, de maisons d’hôtes dans le parc Ala-Archa, ou encore dans la rénovation du complexe thermal de Jyrgalan. Ce passif, ajouté à l’opacité des conditions d’attribution, alimente de nombreuses suspicions sur la nature réelle du projet Asman.

Pourquoi l’éco-ville Asman a-t-elle été abandonnée ?

Le gouvernement n’a donné aucun motif clair. L’annulation est intervenue sans explication officielle, alimentant les spéculations. Était-ce un problème de financement ? Une pression politique ? Des conflits d’intérêts trop visibles ? Les hypothèses abondent.

Mais une chose est certaine : aucune infrastructure n’a été construite, aucun plan d’urbanisme concret n’a été rendu public, et aucun permis de construire n’avait encore été délivré au moment de la rupture du contrat.

L’éco-ville Asman, promise à devenir un modèle régional, n’aura été qu’un slogan. Une ville-fantôme conceptuelle, jamais sortie de terre.

L’ombre persistante des mégaprojets fantômes

Le cas Asman n’est pas isolé. Depuis l’arrivée au pouvoir de Sadyr Japarov, plusieurs projets d’État massifs ont été confiés à des sociétés privées liées, directement ou indirectement, à des figures de son entourage. Selon les médias d’investigation, au moins onze projets similaires ont été initiés depuis 2021, avec des résultats pour le moins flous.
Asman était censée incarner un nouveau visage du Kirghizstan : tourné vers l’écologie, la technologie et le développement urbain durable. Elle devient au contraire le symbole éclatant d’un échec politico-économique, miné par l’improvisation, les conflits d’intérêts et une communication d’État déconnectée du réel.

Par Rodion Zolkin
Le 05/06/2025

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