Kirghizstan : le projet de rétablir la peine de mort à l’épreuve du droit
Kirghizstan : le projet de rétablir la peine de mort à l’épreuve du droit

Alors que le Kirghizstan envisage de rétablir la peine de mort, le débat renaît dans un pays où elle est suspendue depuis près de deux décennies.

Au Kirghizstan, la peine de mort est abolie depuis 2007

Depuis le meurtre particulièrement choquant d’une jeune fille de 17 ans fin septembre 2025, le président kirghize, Sadyr Japarov, a lancé une proposition de rétablissement de la peine de mort, en la restreignant aux crimes les plus graves. Selon lui, il reviendra au peuple de décider par référendum de cette mesure.

Il faut savoir que le Kirghizstan avait instauré un moratoire sur les exécutions dès décembre 1998, renouvelé chaque année. Ensuite, en 2007, le pays a officiellement aboli la peine de mort, modifiant son Code pénal pour remplacer cette sanction par la réclusion à vie. Cette abolition s’est accompagnée d’une modification constitutionnelle affirmant que « nul en République kirghize ne peut être privé de la vie ». Depuis cette date, l’État est lié aux engagements internationaux. En particulier, le Kirghizstan a adhéré au protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, interdisant le rétablissement de la peine capitale. Par conséquent, toute tentative de réintroduire la peine de mort exige non seulement une révision de la Constitution, mais également un retrait ou une renégociation des obligations internationales.

En pratique, le crime puni de la peine capitale n’existe pas aujourd’hui dans le droit kirghize. C’est précisément pour des actes de crime extrême – tels que le meurtre, le viol aggravé ou l’assassinat d’enfants – que le président propose de réintroduire la peine de mort.

Rétablissement de la peine de mort au Kirghizstan : la question sera soumise au référendum

Le projet de rétablir la peine de mort sera soumis à un référendum national après consultation publique et validation par la Cour constitutionnelle, a annocé le président. Si le « oui » est obtenu, le Parlement devra adopter les amendements nécessaires dans les codes pénal et de procédure, et éventuellement renoncer à certains traités internationaux interdisant la peine capitale. Le président cible très précisément les crimes de viol d’enfants et les cas de viol suivi de meurtre de femmes comme seuls motifs pour appliquer la peine capitale.

Pour limiter les erreurs judiciaires, les autorités promettent que les procès seront transparents (avec diffusion en direct) et que les preuves vidéo seront obligatoires. Ces arguments sont avancés notamment en réaction à un crime particulièrement brutal : la disparition et le meurtre d’Aisuluu Mukasheva (17 ans). Son corps a été retrouvé après que l’affaire eut provoqué une vive émotion dans le pays. Le président a aussi invoqué une montée des crimes sexuels contre les femmes et les enfants comme justification morale de la mesure.

Le rétablissement de la peine de mort dans un système juridique post-soviétique comporte de nombreux défis.

– Risque de violations des droits humains et d’erreur judiciaire :

Même dans les systèmes avancés, la peine de mort est critiquée pour son irréversibilité. Les défenseurs des droits estiment que les erreurs judiciaires, les preuves mal récoltées ou les pressions politiques peuvent conduire à l’exécution d’innocents. Le Kirghizstan doit composer avec sa réputation d’institutions judiciaires perfectibles, sujettes à des critiques de manque d’indépendance ou de corruption.

– Contradiction avec les engagements internationaux :

Si le Kirghizstan décide de réintroduire la peine capitale, il devra se retirer ou amender ses obligations vis-à-vis des traités internationaux qui l’interdisent. Cela peut entraîner des sanctions diplomatiques ou une perte de crédibilité auprès des institutions internationales. La rhétorique actuelle promettait pourtant le respect des procédures constitutionnelles, mais l’incompatibilité reste forte.

– Effet dissuasif contesté :

Les partisans du retour de la peine de mort affirment qu’elle pourrait réduire certaines catégories de crimes, comme le viol d’enfants ou le meurtre aggravé. Toutefois, les études empiriques restent disputées : certaines montrent une absence d’effet dissuasif significatif par rapport à des peines longues d’emprisonnement. Le débat scientifique est largement ouvert, même si politiquement, la peine de mort est souvent brandie comme un remède fort.

– Impact sur le système judiciaire et la sécurité :

Introduire de nouveau la peine de mort imposera un contrôle plus strict des procédures pénales, des investigations, des droits de la défense. Le système judiciaire devra s’adapter – ce qui peut générer des délais, des coûts plus élevés, des pressions publiques sur les juges et les procureurs. L’exigence de transparence (projections en direct, preuves vidéo) pourrait constituer un progrès, mais seulement si elle est véritablement mise en œuvre.

Kirghizstan : quelle probabilité que la peine de mort soit rétablie ?

Plusieurs éléments suggèrent que la démarche envisagée est ambitieuse mais non assurée. Le président lui-même a promis que le peuple déciderait par référendum, ce qui ajoute une couche démocratique à l’opération. Le contexte électoral est propice : le Kirghizstan tiendra des élections législatives le 30 novembre 2025. Le gouvernement pourrait utiliser le sujet comme levier politique pour mobiliser l’électorat.

Historiquement, en 2023 déjà, une large coalition de députés avait réclamé la tenue d’un référendum pour réintroduire la peine de mort pour les violeurs d’enfants. Cette demande recevait le soutien de deux tiers des parlementaires. Toutefois, le chemin est semé d’obstacles juridiques. La Constitution actuelle interdit la privation de vie, et les traités internationaux sont juridiquement contraignants pour l’État. Le recours à un référendum et des amendements constitutionnels est une procédure lourde, sujette à contestations.

Enfin, les critiques de la communauté internationale et des organisations de défense des droits humains pourraient faire pression pour bloquer ou ralentir le processus.

En somme, le rétablissement de la peine de mort au Kirghizstan, bien qu’envisagé sérieusement au plus haut niveau de l’État, ne peut être tenu pour acquis. Le succès de cette réforme dépendra autant du rapport de force politique que des contraintes juridiques internes et externes.

Par Rodion Zolkin
Le 10/09/2025

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