À Tachkent, les radars traquent les automobilistes qui ignorent les piétons
automobilistes piétons

Alors que les automobilistes continuent de foncer sans ralentir, un nouveau dispositif technologique s’invite sur les passages piétons de la capitale ouzbèke. Que cache cette surveillance automatisée ? Une promesse de sécurité… ou un coup de communication ?

À Tachkent, la chasse aux automobilistes indélicats est lancée

L’été commence fort dans les rues de Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Dix passages piétons de la ville sont désormais surveillés par des radars d’un genre nouveau. Ces yeux électroniques ne clignent jamais : dotés d’intelligence artificielle, ils identifient les conducteurs qui ne cèdent pas le passage aux piétons, même lorsque ces derniers s’engagent sur un passage non régulé. Résultat : plus de 1.700 infractions en trois jours, comme l’a annoncé Zoyir Yuldashev, porte-parole de la sécurité routière.

Il aura suffi de 72 heures pour dresser un constat implacable : à Tachkent, traverser une rue reste un sport à haut risque. Les caméras – des dispositifs autonomes déployés sur dix axes très fréquentés – ne laissent aucune chance à ceux qui ignorent les droits des piétons. Le processus est sans appel : détection, enregistrement, verbalisation. Aucun policier à l’horizon, mais des amendes qui pleuvent.

Ce test grandeur nature n’est que la première phase d’un plan plus ambitieux. Selon les autorités, 30 autres intersections devraient être équipées dans les prochains jours. Et cette fois, la ville compte bien imposer le respect du code de la route, article par article.

L’argent des amendes recyclé dans la sécurité

Mais que devient l’argent collecté ? La réponse est aussi précise que calculée : 25% des amendes seront reversés à un fonds intitulé « Route sûre et piéton protégé ». Ce fonds alimentera la pose de feux tricolores, de marquages renforcés, d’éclairages nocturnes et de séparateurs physiques pour mieux protéger les passages à risque. Cerise sur le bitume, les citoyens sont invités à proposer eux-mêmes les emplacements prioritaires via un portail en ligne. Ce mécanisme de recyclage financier — collecter pour sécuriser — pourrait bien devenir un modèle dans une ville où les chiffres de l’insécurité routière donnent le vertige.

En 2024, 91 personnes ont perdu la vie à Tachkent dans des accidents de la route. Plus de 720 de ces sinistres impliquaient directement des piétons. Des statistiques qui, année après année, soulignent l’indifférence d’une partie des conducteurs et l’impuissance des piétons. Alors, la technologie suffira-t-elle à inverser la tendance ? Certains y voient un espoir, d’autres une rustine sur un système défaillant.

Quand l’intelligence artificielle remplace la prévention

« On doit descendre du trottoir avec la peur de se faire heurter », confiait récemment un habitant interrogé sur le lancement du programme. Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui rendra les conducteurs plus civilisés, avertissent les sceptiques. Mais peut-elle au moins les faire ralentir par peur de la sanction ? À défaut de sensibiliser, la machine punit. Et c’est peut-être ce qu’il faut, dans une ville où klaxonner remplace encore trop souvent le respect du passage piéton.

L’introduction de ces caméras n’est pas isolée : depuis 2024, des dispositifs similaires sont apparus aux abords des écoles. Leur efficacité n’a jamais été vraiment évaluée publiquement. Cette fois, l’enjeu est national : le programme « Route sûre », récemment annoncé par le président Shavkat Mirziyoyev, entend faire du respect du piéton une priorité politique et budgétaire.

Reste à convaincre… et à surveiller

La transparence reste le talon d’Achille du système. Qui gère les fonds collectés ? Comment seront choisis les lieux d’intervention ? Et surtout : comment garantir que l’intelligence artificielle ne se trompe pas — ou ne se transforme pas, à terme, en outil de surveillance généralisée ? Le projet a été présenté en priorité par un blogueur populaire avant d’être officialisé par la Sécurité routière. Un lancement pour le moins étrange, qui suscite des interrogations légitimes sur la gouvernance d’un projet aussi sensible.

L’entreprise ouzbèke DriveLens AI, spécialisée dans ce type de caméras intelligentes, défend le bien-fondé du dispositif. Son fondateur, Tim Azamatov, affirme que l’IA permet de repérer les comportements dangereux, même lorsque le piéton n’a pas encore posé le pied sur la chaussée. Une prouesse technique qui repose sur la détection de mouvements, d’intentions et de trajectoires. Et maintenant ? Tachkent a lancé un signal fort. Reste à savoir s’il sera entendu – ou simplement contourné, comme tant de passages piétons.

Illustration www.freepik.com.

Par Païsiy Ukhanov
Le 07/22/2025

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