IMC obligatoire : l’Ouzbékistan met ses fonctionnaires sur la balance
IMC Ouzbékistan

Le 20 juin 2025, le gouvernement de l’Ouzbékistan a instauré une obligation qui fait déjà couler beaucoup d’encre : tous les fonctionnaires seront désormais tenus de mesurer régulièrement leur indice de masse corporelle (IMC). Cette directive, censée enrayer l’escalade de l’obésité dans le pays, pose autant de questions de santé publique que de gestion du corps étatique. Derrière la simplicité de l’outil statistique se cache une ambition radicale : discipliner le corps des agents publics pour réformer celui de l’État.

Des fonctionnaires ouzbeks mis à la pesée : une première nationale

C’est une première dans l’histoire de l’administration ouzbèke : chaque fonctionnaire devra périodiquement passer sur la balance pour déterminer son IMC. Calculé à partir de la formule poids (en kg) divisé par la taille (en mètres) au carré, cet indicateur permettra de classifier les individus en fonction des normes de l’Organisation mondiale de la santé : poids normal, surpoids, obésité de grade I, II ou III. Le seuil de normalité, fixé entre 18,5 et 24,9, devient ainsi un nouvel étalon bureaucratique.

Un service dédié à cette évaluation physique a été mis en place au sein de l’Agence pour le développement de la fonction publique. Rattaché aux commissions d’éthique, ce département devra veiller à la bonne application des mesures et à leur suivi sur la durée. Ce n’est pas un gadget de santé : c’est une réforme de la gestion des ressources humaines.

L’Ouzbékistan face à son obésité : une épidémie silencieuse

Si la mesure paraît brutale, elle répond à une réalité préoccupante. Selon des études reprises par le gouvernement et relayées dans la presse ouzbèke, l’obésité touche aujourd’hui 21,3% de la population adulte. Un phénomène aggravé par la sédentarité croissante, une alimentation industrielle et le manque d’accès à des infrastructures sportives.

Les autorités précisent que des examens médicaux annuels deviendront obligatoires dès janvier 2026. Ces bilans incluront des contrôles biométriques, cardiovasculaires et nutritionnels. Les agents publics ne seront pas seulement pesés, ils seront orientés vers des plans alimentaires et des activités physiques individualisés. Autrement dit : on surveille, on corrige et on rééduque.

Une réforme étatique à visée exemplaire

L’objectif de cette mesure dépasse la santé des seuls fonctionnaires. En misant sur une fonction publique plus saine, le gouvernement entend donner l’exemple à la population et réduire les coûts économiques liés aux maladies chroniques. L’argument est limpide : un corps administratif obèse pèserait aussi sur le budget de la santé publique.

Mais la rhétorique du bon élève n’est pas exempte de dérives. L’IMC, rappelons-le, est un indicateur imparfait. Il ne tient pas compte de la masse musculaire, de l’âge ou du sexe. Il pourrait ainsi générer des stigmatisations, voire des discriminations, dans les milieux professionnels. La question se pose avec acuité : un fonctionnaire « hors norme » verra-t-il sa carrière entravée ? Son image ternie ?

Vers une société du contrôle biométrique ?

La mesure va de pair avec une numérisation accélérée des données personnelles. Chaque IMC sera consigné dans la plateforme électronique nationale hrm.argos.uz, centralisant les évaluations individuelles. À terme, cette base de données pourrait intégrer d’autres paramètres de santé. La dérive vers une biopolitique de l’administration devient tangible.
Le philosophe Michel Foucault, s’il avait écrit depuis Tachkent, n’aurait sans doute pas dit mieux : on passe d’un pouvoir disciplinaire à une normalisation numérique. À quelle fin ? Pour améliorer la productivité ? Réduire les congés maladie ? Rendre le corps bureaucratique plus performant ? Autant de questions que le décret du 20 juin 2025 ne résout pas.

Illustration www.freepik.com.

Par Païsiy Ukhanov
Le 06/22/2025

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