Dans un monde où les ambitions climatiques font de la sortie des énergies fossiles une priorité, certains acteurs semblent bien moins enthousiastes à l’idée de tourner la page. Et pour cause : ils y jouent leur avenir.
Le Kazakhstan et les combustibles fossiles : une dépendance structurelle assumée
Le 10 avril 2025, lors du forum MINEX Kazakhstan, Nariman Absametov, le président du directoire de Tay-Ken Samruk, a tenu des propos qui ont fait l’effet d’un pavé dans la mare verte. Face aux injonctions internationales en faveur d’un abandon rapide des combustibles fossiles, dans un entretien au média kazakhstanais Kursiv, il a déclaré sans détour : « Éliminer le pétrole ou le charbon ne sera pas aussi facile que nous l’imaginons. Nous en sommes particulièrement conscients, nous, Tau-Ken Samruk, qui faisons partie de Samruk-Kazyna, dont les principaux actifs sont des sociétés productrices de charbon et de pétrole ». Sous cette affirmation crue, c’est toute la complexité énergétique du Kazakhstan qui s’expose. Car si le pays se rêve en champion des énergies renouvelables, il n’en reste pas moins irrigué, à tous les niveaux, par le pétrole et le charbon.
Entre dépendance et diversification : les combustibles fossiles au cœur de l’économie kazakhstanaise
Loin d’une déclaration isolée, les propos du PDG trouvent un écho dans les décisions politiques récentes. Le 6 décembre 2023, le gouvernement kazakhstanais, par décret du Premier ministre Alikhan Smailov, a approuvé un plan stratégique 2023-2027 pour le développement de 20 projets majeurs dans l’industrie pétrolière, gazière et pétrochimique, mobilisant 37,3 milliards de dollars d’investissements.
Ce plan prévoit notamment :
– une montée en puissance de la production de pétrole à 105,5 millions de tonnes ;
– le doublement de la capacité de la raffinerie de Shymkent (de 6 à 12 millions de tonnes d’ici 2029) ;
– l’extension de pipelines stratégiques (Kenkiyak-Atyrau, Kenkiyak-Kumkol) ;
– la construction de complexes pour la transformation chimique du gaz, comme l’usine de polyéthylène d’une capacité de 1,25 million de tonnes.
De fait, malgré les engagements climatiques, le gouvernement réaffirme son ancrage dans les combustibles fossiles, quitte à paraître en décalage avec les injonctions internationales.
Une transition sous condition : les métaux critiques comme monnaie d’échange
Mais Nariman Absametov en appelle aussi à une lecture plus large des enjeux de la transition énergétique. « Le pétrole est utilisé dans de nombreux domaines : bitume, plastiques, produits chimiques etc. Il n’est donc probablement pas possible de le remplacer partout », a-t-il rappellé dans ce même entretien à Kursiv. Le pétrole ne se réduit pas au carburant, il est un pilier industriel, difficilement substituable.
Parallèlement, le dirigeant insiste sur un autre levier stratégique : les métaux critiques. Sans cuivre, lithium, cobalt ou terres rares, pas de voitures électriques, pas d’éoliennes, pas de panneaux solaires. Une évidence technique que certains États feignent d’ignorer, mais que le Kazakhstan entend exploiter à son avantage.
Ainsi, Tau-Ken Samruk a engagé une coopération avec l’américaine Cove Capital pour explorer des gisements de métaux rares dans la région de Kostanaï. L’entreprise souhaite devenir un fournisseur central de cette chaîne de valeur stratégique, allant jusqu’à négocier un retour du droit prioritaire d’exploitation minière avec le parlement.
Quand la géopolitique des combustibles fossiles rencontre celle des minerais stratégiques
Cette posture pragmatique résonne avec l’évolution des rapports de force mondiaux. Le Kazakhstan, fort de son sous-sol abondant, propose un marché de substitution pour les pays en quête d’alternatives aux chaînes d’approvisionnement chinoises ou russes.
Le pays dispose notamment :
– de vanadium sur le gisement de Balausa,
– de molybdène via KAZ Minerals,
– de beryllium, tantale, niobium produits par l’Usine métallurgique d’Oulba (Kazatomprom),
– de titane et magnésium à Ust-Kamenogorsk,
– de sélénium et bismuth extraits par Kazzinc.
Pour Nariman Absametov, les perspectives sont claires : « Si nous parlons de matériaux critiques, nous savons tous que la consommation de métaux tels que le nickel, l’aluminium, le cuivre, le graphite, le lithium et le cobalt augmentera de manière significative ». Autrement dit, la dépendance mondiale au carbone pourrait bien être remplacée par une autre : celle aux métaux.
Une mutation à double vitesse
Le pari kazakhstanais est donc de continuer à exploiter les combustibles fossiles pour mieux financer une transition vers un modèle fondé sur les matériaux critiques de la transition. La tension est d’autant plus forte que les investissements dans le secteur pétrolier se poursuivent à marche forcée, avec des projets sur les champs de Tengiz, Karachaganak et Kashagan, tout en posant les fondations d’une économie tournée vers la demande future en nickel, cobalt ou niodyme.
Pétrole, mines et ambitions croisées
Le Kazakhstan ne semble pas prêt à renoncer aux combustibles fossiles. Non par inertie, mais par stratégie. Il les voit comme la ressource de financement d’une mutation qui, elle, repose sur d’autres ressources — métalliques, critiques, géopolitiques.
Dans cette vision, Tau-Ken Samruk n’est pas un simple extracteur d’hydrocarbures, mais une entreprise pivot de la souveraineté industrielle kazakhe. Le défi est immense, les résistances aussi. Mais à l’inverse de bien des discours déconnectés, ici, on n’oublie pas que la transition ne se déclare pas : elle se creuse, à coups de milliards et de tonnes.
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