Visite de Volker Türk au Kirghizstan : les droits humains sur la sellette
Volker Türk

Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, s’est rendu à Bichkek, capitale du Kirghizstan, dans un climat pesant où les voix indépendantes sont de plus en plus muselées.

Kirghizstan : la « loi sur les représentants étrangers » et l’intimidation des ONG inquiètent l’ONU

Officiellement invité par les autorités kirghizes, Volker Türk a rencontré le président Sadyr Japarov et divers acteurs institutionnels, mais aussi les membres d’une société civile sous tension. Objectif affiché : rappeler que « les droits humains, la non-discrimination et l’état de droit » sont les seuls garants d’une société qui prospère, « y compris pour rassurer les investisseurs », a-t-il affirmé lors de son discours.

Cette visite, sous couvert d’amitié, a en réalité servi de tribune pour un avertissement limpide : le Kirghizstan se trouve à un tournant critique. Malgré une croissance économique saluée, Volker Türk a pointé « une série de mesures qui ont restreint l’espace d’action de la société civile et des médias indépendants ». Un climat « de peur croissante et d’autocensure » y règne, amplifié par des détentions arbitraires, des poursuites pénales visant journalistes, blogueurs ou militants, et une justice jugée perméable aux pressions politiques.

Pendant son entretien avec Sadyr Japarov, Volker Türk a dénoncé « la loi sur les représentants étrangers », ainsi que des articles flous du Code pénal qui sont utilisés pour intimider les ONG. Il faut savoir qu’au Kirghizstan, certaines ONG modifient même leurs statuts pour éviter l’accusation d’activités « politiques ». Le mot d’ordre semble clair : se taire, ou risquer la fermeture.

Kirghizstan : entre vitrine institutionnelle et zones d’ombre judiciaires

Dans un pays qui dispose pourtant de « l’une des sociétés civiles les plus actives d’Asie centrale », la contradiction est flagrante. Volker Türk a reconnu l’existence d’un cadre institutionnel solide, en particulier la présence du Centre national pour la prévention de la torture, salué comme « le seul organe indépendant répondant aux standards internationaux dans toute la région ». Mais ce modèle est fragilisé par « un manque de ressources financières et des risques pour son indépendance institutionnelle », alerte son directeur Bakytbek Kasymkulov.

Les « pré-enquêtes », qui laissent trente jours aux forces de l’ordre pour décider d’ouvrir un dossier, ont également été épinglées comme favorisant l’impunité en matière de torture et de violences domestiques. Volker Türk a réclamé leur suppression, y voyant une atteinte aux droits des victimes et un frein à l’accès à la justice.

L’interdiction générale des manifestations depuis 2022 est également sur la sellette. Le Haut-Commissaire a exprimé son espoir de voir cette interdiction levée et a appelé à garantir « l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Son message est limpide : sans justice indépendante, sans presse libre, sans société civile forte, aucun développement économique ne saurait être durable.

Vers une « économie des droits humains » ? Une ambition encore théorique

Une idée nouvelle a été avancée par Türk durant sa visite : l’implémentation d’une « économie fondée sur les droits humains ». Ce concept, encore balbutiant, implique l’évaluation systématique de l’impact des budgets nationaux sur les droits sociaux : accès à la santé, à l’éducation, au logement. Cette approche s’inscrit dans une volonté globale de replacer la personne au cœur des politiques publiques, loin des chiffres bruts de la croissance.

Le Haut-Commissaire a également évoqué l’urgence de renforcer la législation contre les discriminations, en saluant les premiers pas pris par le gouvernement, notamment contre les violences fondées sur le genre. Mais il insiste : « Ces lois doivent être pleinement appliquées et adaptées à la réalité des victimes ». Il cite l’importance d’un traitement genré des plaintes, et d’un rôle accru pour les médiateurs publics comme le bureau du Médiateur, à condition d’en garantir l’indépendance.

La visite de Volker Türk a été à la fois un diagnostic sévère et une main tendue. Le Kirghizstan est, selon ses mots, « à un point d’inflexion ». Les choix politiques à venir détermineront s’il s’engage vers une consolidation démocratique ou vers un glissement autoritaire plus marqué.

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