L’ex-président Nazarbaïev « coûtera » encore 8 millions d’euros
Nursultan Nazarbayev

L’entretien de l’ex-président kazakh Noursoultan Nazarbaïev représentera une dépense conséquente pour le contribuable kazakh en 2024-2026. Elle a été évaluée à presque 4 milliards de tenges (8.247.000 euros).

Un juteux traitement pour le premier président du Kazakhstan

C’est un curieux programme qui avait brièvement fait son apparition sur le site des Programmes budgétaires d’État début juillet 2023, avant d’être supprimé : le « projet de financement de la bibliothèque de Noursoultan Nazarbaïev », le premier président kazakh, dont le règne s’est étendu sur 28 ans (1991-2019). Traditionnellement au Kazakhstan, sous cette dénomination pudique se cachent les dépenses liées à l’entretien du premier président. Il faut savoir qu’aussitôt que Noursoultan Nazarbaïev s’était démis des fonctions présidentielles en mars 2019, il avait accédé à des fonctions encore plus importantes et commencé à bénéficier d’un généreux traitement pris en charge par le budget national.

D’après le document cité plus haut, cette indemnité correspond à « l’entretien de la chancellerie, de la bibliothèque, de l’archive personnelle et du musée de l’ancien dirigeant, la valorisation de son rôle dans l’histoire de la formation et du développement de la République du Kazakhstan et la promotion de l’image de ses idées et initiatives créatives ». Mais tout le monde au Kazakhstan sait qu’il s’agit surtout des dépenses personnelles de l’ancien président, surtout des dépenses de transport. Et les montants, en progression ininterrompue d’ailleurs, sont faramineux : sur la période 2024-2026, il est prévu d’y consacrer presque 4 milliards de tenges (8.247.000 euros).

Pour se rendre compte de leur immensité, il suffit de se pencher sur la répartition par année. Sur l’année 2024, par exemple, le budget prévu pour ces dépenses s’élève à 1.195.450.000 tenges (soit 2.452.000 euros). Soit 99.620.833 tenge (204.210 euros) par mois. Et à en croire la fiche du « programme » publié sur le site du Premier ministre, ce traitement devrait être plus élevé encore en 2025 et 2026.

Il semble néanmoins que, dans une certaine mesure du moins, la classe politique est réceptive au souhait du peuple kazakh de modérer cette dépense financée par le contribuable. Au-delà de 2026, les autorités envisagent de diminuer le montant de l’entretien de Noursoultan Nazarbaïev. En juin 2023, le ministre des Finances, Eruylan Zhamaubaev, a d’ailleurs indiqué que le gouvernement cherchait à économiser entre deux et trois milliards de tenges en mettant un jour fin à ce financement.

Même après sa démission, Noursoultan Nazarbaïev a conservé un rôle clé jusqu’en 2022

Rappelons qu’en quittant ses fonctions présidentielles en mars 2019, Noursoultan Nazarbaïev s’est réservé plusieurs fonctions dirigeantes et donc la possibilité de prendre les décisions clé pour le destin du pays. « Comme vous le savez, nos lois me confèrent le statut de premier président – Yelbasa [ce qui, en kazakh, signifie « chef de la nation »]. Je reste président du Conseil de sécurité, qui est investi de pouvoirs importants. Je suis président de Nur Otan [le parti au pouvoir] et membre du Conseil constitutionnel. En d’autres termes, je reste avec vous. Les préoccupations du pays et du peuple restent les miennes », déclarait ouvertement Noursoultan Nazarbaïev dans son allocution télévisée du 19 mars 2019.

Et il n’avait pas tort : conformément à la loi constitutionnelle « Sur le premier président de la République du Kazakhstan – Elbasy », il avait, « en vertu de sa mission historique », le droit de s’adresser au peuple du Kazakhstan, aux organes de l’État et aux fonctionnaires avec des initiatives sur les questions les plus importantes de la construction de l’État, de la politique intérieure et étrangère et de la sécurité du pays, qui sont soumises à l’examen obligatoire des organes de l’État et des fonctionnaires compétents. Il pouvait également s’adresser au parlement, aux sessions du gouvernement lorsqu’il discutait de questions importantes pour le pays, présider l’Assemblée du peuple du Kazakhstan, le Conseil du peuple, et être membre du Conseil constitutionnel. « L’obstruction à l’activité légale du premier président, ainsi que l’insulte publique ou toute autre atteinte à son honneur et à sa dignité, y compris la profanation de ses images, ne sont pas autorisées et font l’objet de poursuites judiciaires, pouvant aller jusqu’à la responsabilité pénale. La loi protège également les membres de sa famille », stipulait par ailleurs cette loi.

Un pas vers le renforcement de son rôle a d’ailleurs été fait en juillet 2023, avec l’adoption de la loi sur le Conseil de sécurité de la République du Kazakhstan. En vertu de cette loi, « en raison de sa mission historique, le premier président a le droit de présider à vie le Conseil de sécurité ». Ce n’est qu’en accord avec lui qu’était décidée la composition du Conseil de sécurité, l’organe clé du système du pouvoir au Kazakhstan.

Noursoultan Nazarbaïev est progressivement démis de ses pouvoirs extraordinaires

Mais les choses ont commencé à bouger en 2022. Après que les manifestations du 2 au 6 janvier 2022 ont été violemment réprimés, ces événements étant entrés dans l’histoire du Kazakhstan sous le nom de « Janvier sanglant », Kassym-Jomart Tokaïev étant président du Kazakhstan à l’époque des faits, Noursoultan Nazarbaïev a été déchu de la fonction de président du parti Nur Otan, de président du Conseil de sécurité et de président l’Assemblée du peuple du Kazakhstan. Il a été remplacé par Kassym-Jomart Tokaïev sur l’ensemble de ces postes. Plusieurs de ses proches et alliés ont également perdu leurs postes, certains d’entre eux ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites pour détournement de fonds.

Le mouvement s’est poursuivi en 2023. Début janvier 2023, les législateurs ont, à la quasi-unanimité, déchu Noursoultan Nazarbaïev de son statut de Yelbasa. Le 15 février 2023, le président Tokaïev a signé la loi constitutionnelle de la République du Kazakhstan « Sur la reconnaissance de la loi constitutionnelle de la République du Kazakhstan – Sur le premier président de la République du Kazakhstan – Yelbasa » comme étant nulle et non avenue. Le 31 mai 2023, le parlement a proposé d’abolir la responsabilité pénale pour insulte à Noursoultan Nazarbaïev. Enfin, en juin 2023 le Sénat a approuvé des amendements privant Noursoultan Nazarbaïev de la présidence du conseil suprême des institutions portant son nom. À noter aussi que la nouvelle Constitution du Kazakhstan, adoptée par référendum le 5 juin 2022, est dépourvue de toute référence au premier président et ne mentionne l’existence d’aucun privilège au bénéfice de Noursoultan Nazarbaïev.

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