Arkadag : inauguration d’une cité-phare dans un Turkménistan replié
Arkadag

Des infrastructures urbaines à la pointe de la technologie

Au cœur de l’un des régimes les plus autoritaires et fermés du monde, l’émergence d’Arkadag sur la scène turkmène est une réalisation aussi surprenante qu’audacieuse. Cette nouvelle cité, aux allures futuristes, s’inscrit dans le prolongement du culte de la personnalité de l’ancien président Gurbanguly Berdimuhamedov. Son inauguration a d’ailleurs eu lieu le 29 juin 2023, l’anniversaire de ce dernier, et c’est l’un de ces noms qui a été donné à cette nouvelle ville. Dans ce pays où trois quarts des adresses IP mondiales sont bloquées et où l’accès à Internet est à la fois le plus lent et le plus cher au monde, Arkadag se veut une cité à la pointe de la technologie.

De larges avenues, des rues spacieuses et des échangeurs routiers équipés de systèmes modernes d’éclairage et de vidéosurveillance sont la première chose que verront les visiteurs en arrivant. La ville se démarque en effet par son infrastructure routière et de transport sophistiquée, conforme aux normes internationales. L’Intelligent Transportation System (ITS), qui utilise des innovations dans la modélisation des systèmes de transport et la gestion du flux de trafic, est au cœur de cette infrastructure. Tout comme l’attention portée à la signalisation routière, méticuleusement pensée et mise en place.

Des bus et des taxis électriques sillonnent les rues de la ville, fournissant un service de qualité. Des nouvelles technologies, comme des bornes d’appel de taxis et des bornes d’achat sans espèces de titres de transport pour les bus, s’inscrivent désormais dans le quotidien des habitants d’Arkadag. Les « parkings intelligents » de la ville et les stations de recharge pour les véhicules électriques sont contrôlés et régulés à l’aide de capteurs spéciaux et de technologies d’information et de communication modernes. À noter qu’à l’occasion de l’inauguration de cette nouvelle ville, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a offert aux autorités turmènes deux voitures électriques du fabricant turc TOGG. Elles ont été peintes en blanc, la seule couleur pour les voitures autorisée au Turkménistan.

Des « maisons intelligentes » s’invitent à Arkadag

En matière de logement aussi, Arkadag a de quoi surprendre. Les immeubles modernes de 5 à 9 étages et les pavillons à un étage ont été construits en intégrant la technologie de la « maison intelligente ». Ce système permet de gérer la maison et les processus domestiques à distance, par exemple avec un smartphone. De plus, des technologies avancées permettent de contrôler la consommation d’électricité, d’eau potable et de gaz naturel. À noter que le logiciel « maison intelligente » a été développé par des étudiants de l’Institut d’architecture et de construction de l’État du Turkménistan. Ce logiciel fait fonctionner tous les dispositifs automatiquement à partir d’un serveur de réseau local. Grâce à cette technologie, l’éclairage, la température et l’humidité des pièces peuvent être contrôlés à partir d’une tablette connectée au serveur.

L’entrée dans les appartements se fait par une « porte intelligente ». En outre, la « maison intelligente » est équipée de dispositifs spéciaux (capteurs) qui, en réagissant aux mouvements, allument et éteignent la lumière, désactivent les équipements électriques en cas d’inactivité prolongée, avertissent les résidents en cas de fuite d’eau et coupent automatiquement son alimentation.

Arkadag : au-delà des paillettes, une réalité peu reluisante

Derrière cette image « carte postale », comme toujours au Turkménistan, il y a la souffrance des citoyens ordinaires. Quelques jours avant l’inauguration d’Arkadag et pendant la cérémonie, Internet était inaccessible dans le pays. Cette perturbation coïncidait en plus avec la célébration de l’Aïd, et de nombreux citoyens qui souhaitaient à cette occasion téléphoner à leurs proches vivant dans d’autres régions du pays et à l’étranger n’ont pas pu le faire. D’après les informations de la rédaction turkmène de Radio Liberty, cette coupure d’Internet était un moyen pour les autorités de contrôler le flux d’informations, afin de limiter la propagation de « mauvaises nouvelles » sur le Turkménistan pendant cette période cruciale. Cette décision a mis en évidence une tension manifeste entre le désir du gouvernement de projeter une image positive du pays et la réalité des restrictions imposées à ses citoyens.

Autre face peu reluisante de cette cérémonie d’inauguration : de très nombreux étudiants et salariés du secteur privé (professeurs, médecins, etc.) avaient reçu l’ordre de venir à Arkadag, sans que leurs dépenses de transport n’aient été remboursées, et de s’installer dans les hôtels de la ville afin de participer aux répétitions du Jour J. Les autorités turkmènes ont voulu qu’un « mur vivant » longe l’ensemble du parcours du Président, et que des groupes de personnes l’accueillent à chacun de ses arrêts. Ces répétitions rigoureuses à longueur de journées, sous un soleil de plomb, ont poussé certains participants à bout. Des femmes, des personnes âgées et des enfants ont été victimes de malaises, soumis à des heures d’exposition à une chaleur intense. Malgré ces incidents, les ambulances sur place ont reçu l’ordre de ne laisser partir personne. Le personnel médical a été doté de médicaments à faible coût, tels que des analgésiques, pour aider les personnes à rester debout malgré leur inconfort. Malgré les problèmes de santé, l’aggravation des maladies chroniques et les problèmes de tension artérielle, les médecins ont été interdits de délivrer des certificats médicaux exemptant de participation. Les fonctionnaires avaient d’ailleurs été prévenus que le refus de participer pourrait entraîner un licenciement.

Quant aux bâtiments d’Arkadag, qui avaient été érigés en un temps record, la qualité des ferrures métalliques utilisées est extrêmement faible, confiait à la rédaction turkmène de Radio Liberty un architecte turkmène souhaitant rester anonyme. Les principaux travaux de coulage du béton avaient été effectués en décembre 2021, ainsi qu’en janvier et février 2022, lorsque la température est tombée plusieurs fois en dessous de zéro. Cela, alors que pour des travaux de ciment, la température ne doit pas être inférieure à 7°C.

« La conception architecturale est extrêmement mal conçue. Les ressources dépensées pour la construction de bâtiments étaient de 50% inférieures à celles des bâtiments construits [les années précédentes] par des entreprises turques. La profondeur des fosses creusées sous les bâtiments ne dépasse pas 3 mètres. Cela, alors même que dans une zone sismiquement dangereuse, au moins 15 mètres doivent être excavés, une forte armature de taille 10×10 doit être posée, la qualité du ciment ne doit pas être inférieure à 1.000. À titre de comparaison, les entreprises turques ont apporté du ciment spécial pour les fondations d’Iran. Le ciment de la 500e qualité produit au Turkménistan ne dépasse en fait pas la 200e qualité en termes de qualité. La qualité des ferrures produites dans le pays est également faible », a confié l’architecte à Radio Liberty.

Pour le gouvernement turkmène, l’inauguration d’Arkadag a marqué un chapitre brillant de l’histoire glorieuse du pays

« Un événement significatif, véritablement historique, s’est produit dans notre pays, qui sera inscrit en lettres d’or dans les annales d’une Patrie neutre et indépendante, suivant avec confiance le chemin de la création, de la prospérité et du progrès. Avec la participation du président Serdar Berdimuhamedov, des célébrations à grande échelle ont eu lieu en l’honneur de l’inauguration de la nouvelle ville d’Arkadag, qui est un symbole visible de la Renaissance de la nouvelle ère d’un État puissant. […] L’inauguration de la ville d’Arkadag a marqué un autre chapitre brillant de l’histoire glorieuse du Turkménistan, née au plus profond des millénaires et digne de se poursuivre dans la nouvelle ère des réalisations grandioses, incarnant le lien inséparable des temps et la continuité des générations, l’aspiration de la Patrie vers l’avant le long de la voie créatrice choisie », a malgré tout tenu à annoncer le gouvernement turkmène par communiqué.

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