Les 24 et 25 mai dernier était organisé à Moscou le « Forum Économique eurasien » : une vaste rencontre bilatérale entre les pays membres des BRICS, de l’Union Économique eurasiatique et de l’organisation de Shanghaï. L’occasion pour Kassym-Jomart Tokayev de marquer sa différence et de plaider en priorité pour une plus forte intégration des pays de l’UEEA.
Composée de la Russie, du Kazakhstan, de la Biélorussie, de l’Arménie et du Kirghizistan, l’Union économique eurasiatique (UEEA) rassemble des nations de l’ancien bloc soviétique dans une union douanière et un marché commun. Fondée en 2014, elle est devenue une moins d’une dizaine d’années un levier de développement essentiel en Asie, et particulièrement en Asie centrale.
Le 24 et le 25 mai dernier, les représentants des pays membres de l’UEEA furent conviés à un sommet à Moscou pour débattre des rapprochements possibles avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais aussi avec les nombreux membres de l’OCS, l’organisation de coopération de Shanghai (Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Chine , Inde, Pakistan et l’Iran). Des organisations aux profils similaires, promouvant une forme de coopération économique alternative à la mondialisation occidentale et comportant de nombreux membres communs comme la Russie ou la Chine.
Étroitement imbriquées, les membres des BRICS, de l’UEEA et de l’OCS (et les dizaines de pays « observateurs » dans chacune de ces organisations) ont donc planché sur les voies de convergences possibles dans les domaines monétaires, financiers ou logistiques.
Un grand bal diplomatique a priori dominé par les intérêts – convergents et divergents – de Moscou et Pékin. Mais le Kazakhstan par la voix de son chef de l’État Kassym-Jomart Tokayev a marqué sa différence. Symptomatique d’une Asie centrale qui ne souhaite pas être l’arrière-cour des grandes puissances.
Priorité à une meilleure intégration des pays de l’UEEA
Car avant de coordonner les dynamiques entre des pays aussi variés que la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil ou la Russie, le président kazakh a surtout rappelé les nombreux chantiers qui doivent être achevés pour améliorer sensiblement l’intégration des différents pays de l’Union Économique Eurasiatique, en particulier en termes d’infrastructures.
Lors de sa déclaration à l’issue du grand symposium diplomatique, il a ainsi rappelé qu’en matière de transports et de flux de marchandises, de nombreux objectifs doivent être menés au sein même de l’UEEA : « Le développement de l’infrastructure matérielle devrait être renforcé par l’infrastructure immatérielle, avec la poursuite de la numérisation et l’allègement des formalités douanières. »
Une stratégie de développement qui repose sur un constat simple, celui de profiter de la reconfiguration des grands axes de communication dans la mondialisation : « La carte mondiale des flux de marchandises a été radicalement modifiée, créant une demande croissante de nouvelles chaînes d’approvisionnement à mettre en place dans toute la région. L’une d’entre elles commence à l’Est avec le projet mégarégional « Belt and Road » de la Chine, qui vise à étendre stratégiquement la connectivité continentale (…) La demande de connectivité commerciale et économique s’est multiplié le long du corridor nord-sud, et notre région se trouve au centre de cette demande croissante ».
Une déclaration qui tranche, puisque le président kazakh a fixé la priorité des prochaines années sur une meilleure intégration économique, normative et financière entre les pays d’Asie centrale et la Russie, mais aussi et surtout, avec la Chine. « Je considère qu’il est essentiel d’établir une connectivité avec le principal partenaire politique et économique de l’Union, la République populaire de Chine. La Chine est à la fois le premier fournisseur de l’Union et le premier client des produits fabriqués dans l’Union. Nous avons d’ailleurs lancé la construction du centre logistique du Kazakhstan dans le port sec de Xi’an et nous espérons que ce port deviendra un centre de conteneurs pour les trains à destination de l’Asie centrale, de l’Europe, de la Turquie et de l’Iran. Nous prévoyons aussi de lancer la liaison ferroviaire Bakhty-Ayagoz en construisant un nouveau point de passage frontalier entre le Kazakhstan et la Chine. »
À ce titre, le chef d’État kazakhstanais a rappelé l’objectif stratégique d’une meilleure interconnexion des Économies de la zone, avec à l’horizon, un marché unique des matières premières : « Nous avons discuté de la manière dont nous devrions, tout d’abord, traiter les questions d’interaction, d’intégration et de coopération économiques. Le commerce doit être libre. Nous devons tout mettre en œuvre pour créer un marché unique des matières premières. Les transporteurs kazakhs devraient avoir accès aux tarifs ferroviaires internes sur le territoire russe, afin de pouvoir transporter librement et de manière rentable leurs marchandises à la fois vers le marché russe et vers les marchés des pays tiers. Je le répète une fois de plus : au sein de l’EAEU, nous devons d’abord nous occuper de l’intégration économique »
Une défense des intérêts kazakhstanais et de toute l’Asie centrale, moins préoccupée par une hypothétique réorganisation diplomatique du monde multipolaire que par la volonté d’accélérer le développement des nouvelles routes de la soie entre la Chine et l’Europe, occasion historique pour la région. En clair : une intégration résolument économique, et surtout pas politique.