Le Kazakhstan face au défi de la durabilité : l’OCDE livre un bilan sans filtre
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Et si le plus vaste pays d’Asie centrale était en train de se réinventer ? Derrière les discours officiels, le Kazakhstan tente de redéfinir son modèle économique à coups de réformes, d’investissements et de promesses d’infrastructures durables. Mais que vaut réellement ce virage ?

Infrastructures durables : ambitions officielles et réalité du terrain

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié un rapport percutant sur la conduite responsable des entreprises dans les projets d’infrastructures durables au Kazakhstan. Cette publication s’inscrit dans le cadre du programme SIPA (Sustainable Infrastructure Programme in Asia), qui examine les progrès et les lacunes dans plusieurs pays d’Asie centrale. Le Kazakhstan, souvent considéré comme pionnier régional, est passé au crible : ambitions écologiques, cadre réglementaire, rôle des entreprises publiques… Le tableau est nuancé, à l’image du chemin encore long vers un modèle de développement pleinement aligné avec les standards internationaux.

Le Kazakhstan brandit son « Stratégie 2050 » comme un manifeste de modernisation. Objectif affiché : transformer les secteurs de l’énergie, des transports et de l’industrie pour les rendre plus durables. Le Plan national d’infrastructure 2024-2029 fixe un cap vers une meilleure efficacité énergétique et une réduction drastique des émissions. Le gouvernement mise notamment sur un investissement colossal estimé à 610 milliards de dollars d’ici 2060 pour atteindre la neutralité carbone, dont plus de 223 milliards en financement neuf.

Mais la réalité est moins linéaire. En 2023, la production d’électricité reposait encore à 62,1% sur le charbon, et le secteur des transports représentait 10% des émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion (source : IEA). Le réseau ferroviaire affichait un taux d’usure de 57%, et la densité routière reste inférieure à la moyenne régionale. Le rapport note que « 41% de la population vit dans des zones rurales mal desservies par les infrastructures ».

Cadre juridique, entreprise publique et conduite responsable : un virage encore fragile

Le Kazakhstan reste le seul pays d’Asie centrale à avoir adhéré aux Lignes directrices de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable. Le pays dispose d’un Point de contact national (PCN) depuis 2017, logé à l’Institut de recherche économique, et dont l’activité s’est renforcée à partir de 2020.

Cependant, les défis restent criants. D’après le rapport, les évaluations d’impact social dans les projets extractifs sont rares, les droits des travailleurs insuffisamment protégés, et les syndicats confrontés à des obstacles majeurs. Le Kazakhstan ne garantit toujours pas pleinement le droit de grève ni la négociation collective, notamment dans l’énergie et la construction.

L’OCDE relève pourtant des signaux positifs. En 2024, le gouvernement a adopté le Concept du travail sûr 2024-2030 pour renforcer la santé et la sécurité sur les chantiers, et développe un Centre unifié pour la formation à la sécurité et à la sensibilité au genre. Une campagne « Vision Zéro » visant à éradiquer les accidents professionnels a rallié plus de 580 entreprises. Mais la vigilance reste de mise. Les inspections du travail nécessitent encore l’aval du parquet, et la couverture reste insuffisante : 0,24 inspecteur pour 10.000 travailleurs, en deçà de la moyenne des pays à revenu intermédiaire supérieur.

Vers des infrastructures durables et responsables : une promesse à concrétiser

Le Kazakhstan ne manque ni d’ambitions ni de cadres. Il a lancé, avec l’appui de l’ONU, une évaluation de référence des droits humains dans les entreprises (BHR) en 2023, et s’est engagé à rédiger un plan d’action national. Il a aussi adhéré à la Recommandation de l’OCDE sur le rôle des États dans la promotion de la conduite responsable. Le pays prévoit une déclaration spécifique sur la conduite responsable des investisseurs pour 2029.

Des signes encourageants apparaissent aussi côté privé. Selon une enquête menée par l’OCDE, « près de la moitié des entreprises interrogées déclarent avoir adopté des technologies pour améliorer leur efficacité énergétique ou réduire leurs émissions ». Le réseau du Pacte mondial des Nations unies au Kazakhstan a connu un bond, passant de 8 membres en 2021 à 88 en 2024.

Enfin, la stratégie d’internationalisation se précise. Le Kazakhstan a rejoint le Minerals Security Partnership pour garantir une production locale de matières premières critique respectant les normes ESG, et a conclu un partenariat stratégique avec l’Union européenne dans le secteur de l’hydrogène et des batteries.

Un modèle en chantier, entre incitations, contradictions et dépendances

Le Kazakhstan avance, à sa manière. L’État investit, structure, négocie, communique. Mais dans un contexte où 60% de l’électricité et 99% du chauffage reposent encore sur le charbon, le discours sur les infrastructures durables doit encore passer l’épreuve de la réalité. Tant que les pratiques de concertation, de transparence, et de protection des travailleurs ne seront pas généralisées, les ambitions climatiques resteront vulnérables.

L’OCDE résume le dilemme avec sobriété : « Appliquer efficacement les normes existantes de conduite des entreprises améliorerait considérablement l’identification des risques et leur gestion dans le respect de la réglementation ».

Par Païsiy Ukhanov
Le 07/15/2025

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