Un trio au sommet : au Turkménistan, la dynastie Berdymoukhamedov réajuste les rênes du pouvoir
Oguljahan Atabayeva

Le 7 décembre 2024, Oguljahan Atabayeva, sœur du président turkmène Serdar Berdymoukhamedov et fille de son prédécesseur Gurbanguly, a été nommée vice-présidente pour les affaires médicales de la Fondation caritative d’État en soutien aux enfants en besoin de tutelle. Un titre modeste en apparence, mais qui cache un basculement stratégique du pouvoir turkmène. Cette nomination cristallise l’émergence d’un « trio » au sommet d’un régime qui tente, tant bien que mal, de concilier autorité clanique et pression internationale, estime Galia Ibragimova, journaliste ouzbèle spécialiste des dynamiques autoritaires en Asie centrale, dans un édito publié sur Carnegie Politika. Un jeu d’équilibres orchestré par la main toujours ferme du patriarche Berdymoukhamedov.

Une promotion surprise pour renforcer le trio du pouvoir

C’est une ascension éclair dans un État où la transparence reste un mirage. Longtemps effacée de la scène publique, Oguljahan Atabayeva, qui avait résidé à l’étranger et dont le mari était en poste à l’ambassade de Londres, s’est imposée soudainement au cœur du dispositif d’État. Depuis sa nomination, elle enchaîne les apparitions dans les médias d’État, inaugure des conférences, rencontre des diplomates étrangers, et dialogue en anglais avec des organismes internationaux.

« La montée en puissance d’Atabayeva révèle la volonté persistante de Gurbanguly Berdymoukhamedov de garder un contrôle étroit sur les leviers du pouvoir, en rappelant à son fils les limites de son autonomie », écrit Galia Ibragimova. Son rôle dépasse largement la philanthropie. Il incarne une stratégie de consolidation familiale dans un contexte où la loyauté est un pilier du maintien du régime. La nomination d’Oguljahan illustre ainsi une tentative claire de reconfiguration du pouvoir autour d’un noyau dur : père, fils, sœur.

Une nomination pour freiner l’autonomie de Serdar Berdymoukhamedov

Depuis son accession à la présidence en mars 2022, Serdar Berdymoukhamedov tente, timidement, de tracer sa propre voie. Il a notamment écarté plusieurs figures puissantes liées à ses cousins Hadjimourat et Chamourat Redjepov, deux magnats contrôlant d’importants secteurs économiques et des flux parallèles. Il a également limogé sa tante, Goulnabat Dovletova, soupçonnée de détournement de biens humanitaires via le Croissant-Rouge national.

Mais cette indépendance relative semble avoir irrité le père, qui n’a jamais véritablement quitté le devant de la scène. Dès 2023, Gurbanguly a repris les rênes à travers la présidence du Halk Maslahaty, nouvel organe suprême du pouvoir, juridiquement supérieur au président. Une configuration unique qui inscrit juridiquement un double pouvoir… avec une primauté du père.

Une figure politico-diplomatique pour l’ouverture internationale

Mais la manœuvre ne se résume pas à un simple contrôle familial. Elle répond aussi à un impératif géopolitique. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Turkménistan attire les regards en tant que potentiel partenaire gazier alternatif. Le projet du gazoduc transcaspien, vieux serpent de mer énergétique, revient dans les discussions, tandis que le Corridor transcaspien entre Europe et Chine positionne le pays comme pivot logistique régional.

Dans ce contexte, Oguljahan incarne une vitrine modernisée. Elle parle anglais, coopère avec l’UNICEF, s’entretient avec ses homologues en Ouzbékistan ou au Kazakhstan, et donne des interviews à des chaînes comme Al Arabiya. Jamais une épouse présidentielle n’avait assumé une telle exposition – car il n’y a pas de première dame visible au Turkménistan. Atabayeva occupe désormais de facto cette fonction symbolique. Une figure d’apaisement destinée à séduire les investisseurs… sans toucher aux fondements autoritaires du régime.

Une concentration familiale qui défie les institutions

À travers cette restructuration, c’est une constante régionale qui se confirme : la politisation des femmes de la famille comme outil d’ancrage dynastique. On pense à Dariga Nazarbaïeva au Kazakhstan, à Goulnara Karimova en Ouzbékistan, ou encore à Ozoda Rahmon au Tadjikistan. Mais le cas d’Oguljahan Atabayeva diffère : elle ne vise pas, à ce jour, la succession. Elle incarne un point d’équilibre. Une sentinelle du régime autant qu’un signal d’alerte.

Dans un pays aussi verrouillé que le Turkménistan — où l’information est sous censure, les institutions sous tutelle et l’économie sous perfusion —, toute apparition publique a valeur de décret. Oguljahan n’est pas là pour faire joli. Elle est là pour dire au peuple et au monde que le clan Berdymoukhamedov, lui, reste à la manœuvre.

Par Rodion Zolkin
Le 07/02/2025

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