Pourquoi les Kazakhstanais quittent-ils de moins en moins leur pays ? Une tendance lourde s’impose, et les chiffres sont sans appel. Le Kazakhstan semble avoir franchi un cap décisif dans sa dynamique migratoire.
Le 24 juin 2025, le Bureau des statistiques nationales a publié des données révélatrices : le Kazakhstan a enregistré une baisse sans précédent de son taux d’émigration. Ce recul massif, inédit depuis un quart de siècle, interpelle. Il confirme une transformation profonde du paysage socio-économique du pays, dont les ressorts méritent d’être analysés.
Le Kazakhstan voit l’émigration s’effondrer au premier trimestre 2025
Entre janvier et avril 2025, seulement 1 700 Kazakhstanais ont quitté leur pays pour s’installer durablement à l’étranger, selon les données officielles. C’est 2,8 fois moins que les 4 800 départs enregistrés à la même période l’année précédente. Dans un État où les flux migratoires ont longtemps été dominés par les départs, ce renversement marque un tournant historique. Parallèlement, bien que l’immigration ait légèrement décliné, passant de 9 900 à 8 100 personnes, le solde migratoire demeure favorable depuis février 2024.
Ce phénomène n’est pas isolé. Il prolonge une tendance structurelle engagée depuis vingt-cinq ans. En 2000, plus de 155 000 personnes avaient quitté le pays pour un autre lieu de résidence. En 2024, ce nombre n’était plus que de 12 700. Le Kazakhstan semble ainsi amorcer une phase nouvelle de stabilité démographique.
Qu’est-ce qui freine les départs vers la Russie et l’Allemagne ?
La Russie demeure la principale destination des Kazakhstanais en partance. Pourtant, le nombre de départs vers ce pays s’est effondré : seuls 644 ressortissants kazakhstanais s’y sont installés entre janvier et mars 2025, soit une baisse de 75,5 % sur un an. L’Allemagne, deuxième pays de destination, suit la même trajectoire, avec une chute de 67,9 % des départs sur la même période. Ces chiffres illustrent un changement radical dans les comportements migratoires.
Si l’on exclut les flux modestes mais croissants vers le Kirghizistan, en particulier depuis les régions méridionales, toutes les grandes destinations historiques enregistrent un recul marqué.
Le nord et l’est du pays, toujours en tête des départs
Le profil géographique de l’émigration n’a pas fondamentalement changé. En 2024, près de la moitié des départs provenaient de cinq régions : Kostanaï, Pavlodar, Abaï, Nord-Kazakhstan et Est-Kazakhstan. Ces territoires historiquement enclins à l’émigration continuent d’enregistrer les flux sortants les plus importants. Cependant, même dans ces zones, la tendance est au ralentissement.
Les prévisions publiées précédemment par le Fonds des Nations unies pour la population, dans son rapport « We, Kazakhstan », semblent aujourd’hui validées. L’institution anticipait un recul structurel de l’émigration, porté par une dynamique économique plus forte, l’épuisement de la migration ethnique et une croissance démographique plus rapide dans les pays voisins d’Asie centrale.
Pourquoi les Kazakhstanais ne veulent plus partir ?
Un sondage mené par le centre Demoscope à la fin de l’année 2024, auprès de 1 100 citoyens issus de toutes les régions, permet de mieux cerner les ressorts de cette stabilité. Selon cette enquête, 78,5 % des répondants affirmaient ne pas envisager un départ du pays dans les deux à trois années à venir. Seuls 6,9 % déclaraient planifier une émigration, tandis que 5,6 % se disaient désireux de partir sans en avoir actuellement la possibilité.
Les motivations des candidats au départ, bien que toujours présentes, perdent en intensité. Une part significative de ces répondants évoquait l’espoir d’obtenir un revenu plus élevé à l’étranger ou l’opportunité de trouver un emploi plus valorisant. D’autres mentionnaient l’accès à une éducation de meilleure qualité ou le sentiment d’absence de perspectives pour eux-mêmes et leurs enfants au Kazakhstan. Toutefois, ces raisons, aussi structurantes soient-elles, ne suffisent désormais plus à alimenter un flux massif vers l’extérieur.
Une économie plus forte, une migration plus faible
Le recul de l’émigration s’explique en grande partie par les transformations économiques internes. Depuis plusieurs années, le Kazakhstan bénéficie d’un développement soutenu dans les secteurs de l’industrie, de la logistique et de l’agriculture, qui génèrent une demande accrue de main-d’œuvre. Cette dynamique contribue à retenir les talents et à offrir de nouvelles perspectives à une population longtemps tentée par l’exil.
Selon l’UNFPA, trois facteurs majeurs expliquent ce basculement : l’essor économique, la raréfaction de la migration d’origine ethnique, et le ralentissement des pressions migratoires en provenance des républiques voisines. Ces éléments conjugués favorisent un climat plus favorable à la stabilité démographique.
Une stabilité fragile mais réelle
Certes, le Kazakhstan n’a pas encore renversé complètement les logiques de mobilité. Certaines zones rurales, économiquement en retard, continuent de perdre une partie de leur population active. Mais les chiffres publiés au printemps 2025 traduisent une inflexion profonde : le pays commence à retenir durablement ses citoyens.
Si cette évolution se confirme, elle pourrait transformer les équilibres économiques, sociaux et culturels du pays. Le Kazakhstan, longtemps perçu comme un point de départ, pourrait bien devenir un pôle d’attraction régional. Une mutation que peu avaient anticipée il y a encore dix ans.