La steppe du Kazakhstan abrite l’un des sites les plus mythiques de la conquête spatiale. Mais derrière les pas de tir désaffectés et les protocoles figés se dessine une nouvelle dynamique nationale, bien plus ambitieuse qu’il n’y paraît.
Le Kazakhstan taille dans le bail de Baïkonour
Le 24 juin 2025, le Premier ministre du Kazakhstan, Olzhas Bektenov, a officiellement annoncé la réduction d’une portion du territoire loué à la Russie sur le cosmodrome de Baïkonour. Une décision qui, au-delà de sa portée foncière, révèle l’accélération stratégique du Kazakhstan dans l’univers spatial. Alors que l’accord de location signé avec Moscou court jusqu’en 2050, Astana muscle discrètement ses ambitions spatiales. Baïkonour, jusqu’ici symbole de la domination russe, pourrait bien devenir le théâtre d’un rééquilibrage majeur.
« La Russie n’utilise activement que trois des dix complexes de lancement disponibles », a déclaré Olzhas Bektenov le 24 juin 2025. Une phrase qui claque comme un rappel à la réalité. Ce chiffre justifie la volonté du Kazakhstan de reprendre 1.747 m² de terrain sur les 6.700 km² initialement loués à la Russie, pour y établir une zone économique spéciale dédiée à des projets spatiaux nationaux et étrangers. L’objectif ? « Favoriser l’essor des initiatives technologiques nationales et attirer des start-up spatiales internationales. »
Officiellement, le Kazakhstan assure que cette réduction n’affectera pas le montant annuel du loyer versé par Moscou – 115 millions de dollars, soit environ 106 millions d’euros. Le ministre kazakhstanais des Finances, Madiyev, l’a affirmé à la presse le 18 juin 2025 : « Le retrait partiel ne modifie pas les termes financiers de l’accord ». Mais cette clause, loin d’être anodine, traduit un rapport de force nouveau : c’est désormais Astana qui négocie en position de force.
Baïkonour, vitrine de l’indépendance kazakhstanaise
Le Kazakhstan ne se contente pas de réduire la surface louée : il reconquiert méthodiquement le ciel. Depuis 2023, la série de satellites KazEOSat-MR est en phase de conception sur le site de production kazakh. Le premier lancement est prévu pour 2027. En parallèle, une expertise économique est en cours pour remplacer le vieillissant KazSat-3, qui dessert actuellement les télécommunications.
Mais le pays ne s’arrête pas aux orbites basses. En fin d’année 2025, une petite fusée météorologique de conception nationale devrait effectuer son vol inaugural. Ce lancement, présenté comme une « étape symbolique dans l’autonomie aérospatiale du pays », s’inscrit dans un plan plus large de développement de capacités propres en ingénierie de propulsion.
Astana ne joue pas cette carte en solitaire. Le projet russo-kazakhstanais Baïterek, relancé après des années d’atermoiements, prévoit le lancement de la fusée Soyouz-5 en décembre 2025 depuis un nouveau pas de tir réhabilité à cet effet. Mais là encore, la dynamique change de camp. La Russie envisage désormais de transférer l’assemblage de cette fusée de son territoire… à Baïkonour, comme l’a confirmé le gouvernement kazakhstanais.
Une diplomatie orbitale tous azimuts
Le Kazakhstan ne dissimule plus ses ambitions internationales. Une délégation s’est rendue au printemps 2025 à Munich et Francfort pour rencontrer OHB System AG et Rocket Factory Augsburg AG. Objectif ? Discuter de coopération technique et logistique sur les lanceurs légers.
Le pays multiplie également les contacts avec des start-up indiennes (Sky Root), chinoises (Deep Blue Aerospace), et allemandes (Himpulse). L’idée est simple : positionner Baïkonour comme une plateforme régionale pour les lancements commerciaux et les essais de fusées légères.
Astana s’est également engagée avec la Turquie, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et le Kirghizistan pour le développement d’un premier satellite scientifique régional au format 12U. Une mini-constellation symbolique, mais stratégiquement utile pour tisser un réseau régional d’influence.
Baïkonour, futur parc d’attractions spatial ?
Pendant que les ingénieurs s’activent sur les plateformes de tir, d’autres voient dans Baïkonour un potentiel bien plus… terrestre. Le 21 novembre 2024, un poste d’observation touristique sous forme de yourte kazakhe a été installé à quelques centaines de mètres du mythique pas de tir de Gagarine. C’est ce que révèle Kazinform dans son article du 12 juin 2025. Le site, désormais placé sous la responsabilité du Kazakhstan, accueillera un musée spatial.
Une application mobile, baptisée « Baïkonour », permet déjà aux visiteurs de planifier leur venue, pendant que six hôtels hébergent les 617 touristes attendus chaque saison. Une dynamique touristique qui, sous des allures folkloriques, traduit un changement fondamental : Baïkonour est en passe de redevenir kazakh, dans l’image comme dans les faits.
Un divorce qui ne dit pas son nom
La Russie part-elle vraiment de Baïkonour ? Pas encore. Le bail court jusqu’en 2050, et les 106 millions d’euros qu’elle verse chaque année constituent une rente stratégique pour Astana. Mais les faits sont têtus : Moscou se désengage lentement, tandis que le Kazakhstan avance à pas comptés, mais sûrs.
Baïkonour n’est plus une simple relique soviétique figée dans le temps. C’est un chantier ouvert, un laboratoire d’autonomie industrielle, un carrefour diplomatique, et peut-être bientôt un aimant touristique. En réduisant la surface louée à Moscou sans toucher au loyer, Astana a réussi le tour de force d’affirmer son autorité sans déclencher la tempête. Mais pour combien de temps encore ?