Alors que le Moyen-Orient s’embrase une nouvelle fois, une ombre plane sur les routes énergétiques d’Asie centrale. Le gaz turkmène, déjà enclavé entre rivalités géopolitiques et dépendances stratégiques, pourrait être le prochain dommage collatéral du conflit entre Téhéran et Tel-Aviv.
Le gaz turkmène, nouvel otage du conflit entre l’Iran et Israël
Depuis le 13 juin 2025, date à laquelle Israël a frappé plusieurs installations nucléaires et militaires iraniennes, la tension militaire s’intensifie entre les deux puissances régionales. En parallèle, un autre front plus discret, mais potentiellement explosif, se tend : celui du gaz. Le Turkménistan, qui exporte une partie de sa production en transitant par le territoire iranien, observe cette escalade avec inquiétude.
Le Turkménistan, quatrième réserve mondiale de gaz naturel, tente depuis plusieurs années de diversifier ses débouchés. En février 2025, il a signé un contrat avec la compagnie publique turque BOTAŞ, permettant l’acheminement de 1,3 milliard de mètres cubes de gaz vers la Turquie via l’Iran. Mais le projet ne s’arrête pas là : une opération de swap gazier a aussi été mise en place. Le principe ? Le Turkménistan fournit 20 millions de mètres cubes quotidiens au nord de l’Iran, qui s’engage en retour à livrer la même quantité à l’Irak.
Sauf que voilà : « L’infrastructure énergétique iranienne est vulnérable aux frappes israéliennes. Cela ne signifie pas qu’elle sera attaquée, mais le risque est réel », avertit John Roberts, analyste en sécurité énergétique chez Methinks, dans un entretien à la radio Azathabar, le service turkmène de Radio Liberty le 19 juin 2025. Et le même expert d’interroger : « A-t-il vraiment du sens de dépendre du transit iranien pour des volumes aussi faibles ? ».
Exporter du gaz via l’Iran : un pari de plus en plus risqué
Le gaz turkmène, malgré ses volumes imposants, reste un produit politiquement délicat. Le renoncement de l’Irak, fin mai 2025, à son plan initial d’importation directe à cause des sanctions américaines contre l’Iran en est l’illustration la plus claire. Le système de swap reste théoriquement en place, mais sa viabilité à court terme est contestée. En cas d’aggravation du conflit, les infrastructures de transit pourraient devenir des cibles militaires ou subir des interruptions techniques durables.
D’ailleurs, selon John Roberts, « Pour la Turquie, importer du gaz turkmène est tentant, mais le prix à payer en matière de vulnérabilité est élevé ». Cette crainte est partagée par plusieurs analystes à Londres et à Istanbul, qui évoquent une situation où les pipelines pourraient devenir des leviers de représailles ou de pressions. Et au centre du jeu, le Turkménistan, pays neutre, mais pas indifférent.
Quelles alternatives pour le gaz turkmène ? La Chine, le Kazakhstan, ou un mirage transcaspien
Face à ce nœud d’incertitudes, les décideurs à Achgabat semblent contraints de revoir leur copie. Une solution de repli est évidente : la Chine. Premier client et quasi unique débouché, Pékin reçoit déjà plus de 30 milliards de mètres cubes par an via le gazoduc Asie centrale – Chine. Mais ce partenariat asymétrique pèse lourd : « La Chine est une monopsone, elle dicte ses prix et ses conditions », rappelle John Roberts.
Une autre piste serait de renforcer les ventes vers les voisins directs comme l’Ouzbékistan, qui subit des pénuries chroniques, ou le Kazakhstan, qui cherche à stabiliser son approvisionnement régional. Ce scénario pourrait représenter jusqu’à 10 milliards de mètres cubes supplémentaires.
Enfin, reste le corridor transcaspien, serpent de mer géopolitique jamais concrétisé. Traverser la mer Caspienne, rejoindre l’Azerbaïdjan puis la Turquie par le réseau TANAP (Trans-Anatolian Pipeline), puis desservir l’Europe. Idéal sur le papier. Mais dans la réalité ? Un enfer diplomatique, technique, et coûteux. Sans oublier les réticences russes à voir ce corridor court-circuiter leur propre réseau.
Neutralité turkmène et vulnérabilité énergétique
Face à l’escalade régionale, le ministère des Affaires étrangères turkmène a publié un communiqué le 13 juin 2025, appelant à « résoudre les différends par des moyens pacifiques, selon les principes de la Charte des Nations unies ». Mais la rhétorique pacifiste ne suffira pas à préserver les contrats d’exportation si les missiles s’abattent sur les terminaux ou si Washington accentue les sanctions contre toute transaction énergétique avec l’Iran.
Et alors ? Alors le Turkménistan pourrait bien se retrouver avec une marchandise abondante, mais sans acheteurs solvables ni routes sûres. Comme le résume John Roberts : « Le moment est venu pour Achgabat de choisir une direction claire, et de le faire vite ».
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