La réduction historique des flammes du cratère de Darvaza marque-t-elle un simple geste technique, ou l’émergence d’une nouvelle stratégie énergétique au Turkménistan ? Derrière la disparition annoncée de la mythique Porte de l’Enfer, c’est un repositionnement régional, économique et climatique qui se dessine à l’échelle de l’Asie centrale.
La Porte de l’Enfer, entre folklore soviétique et inertie géologique
Depuis 1971, le Turkménistan abrite une anomalie visible depuis l’espace : un cratère en feu, allumé par des géologues soviétiques pour éviter une catastrophe gazière. Baptisé « Porte de l’Enfer », ce site situé dans le désert du Karakoum est devenu un paradoxe national : attraction touristique et scandale climatique à la fois. Avec un diamètre d’environ 70 mètres et une profondeur de 30 mètres, le cratère brûle sans discontinuer, libérant un flot de méthane, un gaz à effet de serre 84 fois plus nocif que le dioxyde de carbone sur vingt ans.
Un revirement inédit : captation du méthane et fermeture partielle
Depuis 2024, sous la pression de ses partenaires internationaux et de l’ONU, le Turkménistan a engagé des travaux de captation du gaz. Trois puits ont été forés (n° 11, 12 et 4), extrayant jusqu’à 600.000 mètres cubes de méthane par jour. La zone en combustion a été réduite d’un tiers.
Le 6 juin 2025, la directrice de Turkmengaz, Irina Lurieva, déclarait devant la presse : « Aujourd’hui, il ne reste qu’une faible source de combustion. Nous avons réduit d’un tiers la zone active ». Le satellite MARS, lancé dans le cadre d’un partenariat entre l’ONU et Achgabat, confirme ces données : les émissions sont désormais sporadiques, contenues dans une zone très localisée. L’extraction gazière, pilotée par le Natural Gas Institute, pourrait être exploitée à des fins commerciales.
Réalignement diplomatique et repositionnement énergétique
Ce virage écologique marque-t-il l’amorce d’une nouvelle stratégie régionale ? Plusieurs éléments le suggèrent.
– Le Turkménistan, longtemps critiqué pour son absence d’engagement climatique, veut rattraper son retard. L’adhésion au Global Methane Pledge, jusqu’ici refusée, est en discussion. Le pays affiche l’objectif de réduire ses émissions de 30% d’ici 2030, dans la lignée de l’Accord de Paris.
– La récupération du méthane de Darvaza s’inscrit dans une logique de valorisation domestique du gaz, en parallèle des projets de développement de l’oléoduc TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde). L’exportation directe vers l’Asie du Sud, longtemps freinée par l’instabilité afghane, pourrait se trouver réactivée.
– En fermant partiellement un symbole controversé, le pouvoir d’Achgabat cherche à lisser son image internationale sans renier le contrôle autoritaire du secteur énergétique. Ce repositionnement est aussi un signal envoyé à la Chine, principal acheteur du gaz turkmène, et à ses voisins (notamment l’Ouzbékistan) dans une logique de soft power régional.
Entre impératif climatique et équilibre symbolique
Mais cette fermeture est aussi un calcul d’image. La Porte de l’Enfer, au-delà de sa portée touristique, incarne l’indépendance gazifière du pays. La réduire, sans la supprimer, permet au Turkménistan de montrer qu’il agit — tout en conservant un emblème.