Le 17 juin 2025, le Comité de l’aviation civile du Kazakhstan a levé le voile sur une discussion qui pourrait redessiner le paysage du transport aérien dans la région. La compagnie aérienne SCAT, basée à Chymkent, envisage de renouveler sa flotte régionale avec les avions du constructeur franco-italien ATR (Aerei da Trasporto Regionale), symbole européen des lignes courtes et rustiques. Ce projet soulève des questions cruciales sur les choix technologiques et les ambitions géopolitiques du Kazakhstan en matière de mobilité.
ATR en première ligne : le pari d’une efficacité pragmatique
L’intérêt de SCAT pour ATR ne doit rien au hasard. Fondée en 1981 par Airbus et Aeritalia (désormais Leonardo), la société ATR s’est spécialisée dans les avions à turbopropulseurs, taillés pour les segments courts et mal desservis. Deux modèles composent sa gamme actuelle : le ATR 42-600, pouvant embarquer entre 30 et 50 passagers pour une portée de 1 345 kilomètres, et le ATR 72-600, capable d’accueillir de 44 à 78 personnes sur 1.370 kilomètres.
Cette offre semble taillée sur mesure pour SCAT, qui opère dans un pays aux distances massives, aux infrastructures parfois incomplètes, et aux aéroports de taille modeste. Envisager d’équiper les liaisons vers les futurs aéroports de Zaysan, Katon-Karagay et Kenderli avec des appareils ATR est un choix technique autant que politique : renforcer la cohésion territoriale en connectant des zones rurales tout en optant pour un partenaire occidental fiable.
SCAT et l’art du redéploiement régional : un mouvement sous haute tension
SCAT n’en est pas à son premier virage stratégique. Créée en 1997, la compagnie s’est consolidée comme un acteur clé du transport intérieur kazakhstanais et cherche désormais à structurer son offre régionale. Ce projet d’acquisition s’inscrit dans une dynamique plus large de restructuration logistique, accélérée par les restrictions récentes imposées dans plusieurs aéroports kazakhstanais.
En effet, les autorités ont interdit les vols commerciaux à Balkhach, tout en limitant les services à Usharal et Urdzhar. Face à ce contexte, le renouvellement de la flotte avec des appareils à l’entretien peu coûteux et facilement opérables sur des pistes courtes apparaît comme une décision tactique.
Lors d’une rencontre entre Saltanat Tompiyeva, présidente du Comité de l’aviation civile, et Jérôme Gaborie, vice-président d’ATR pour l’Europe et l’Asie centrale, les deux parties ont exprimé leur volonté de renforcer la coopération autour de la livraison, de la maintenance et de la formation du personnel. L’objectif ? Créer un écosystème ATR au Kazakhstan, un pari ambitieux qui rappelle les pratiques de co-développement défendues par certains industriels européens.
Une entreprise privée aux ambitions publiques ?
La compagnie SCAT, détenue par Vladimir Denissov (cofondateur) et Vladimir Sytnik (vice-président), pourrait à première vue sembler éloignée des enjeux géopolitiques. Pourtant, en s’alignant avec un constructeur européen, elle envoie un signal clair à Moscou et à Pékin : Astana regarde aussi vers l’ouest.
Cette opération pourrait également profiter à ATR, qui peine à percer certains marchés dominés par des appareils russes ou chinois. Installer une base opérationnelle forte au Kazakhstan serait une vitrine stratégique pour démontrer la robustesse et l’adaptabilité de ses modèles dans un contexte extrême.
Acquisition par SCAT d’avions ATR, une modernisation qui dépasse les tarmacs
Derrière la modernisation apparente du parc aérien régional, c’est toute une stratégie de redéploiement territorial et d’ouverture internationale qui s’esquisse. SCAT joue la carte ATR non seulement pour ses performances, mais pour ce qu’il symbolise : une aviation à taille humaine, pensée pour relier plutôt que concentrer, et peut-être, un alignement discret mais significatif avec les standards européens.