La lumière vacille, les sanctions tombent. Au Tadjikistan, alors que les rues de Douchanbé restent noyées dans l’obscurité nocturne, les autorités durcissent leur arsenal contre le vol d’électricité. Mais est-ce bien là que se trouve le cœur du problème ?
Le 2 avril 2025, le Parlement du Tadjikistan a adopté une série de mesures radicales visant à lutter contre le vol d’électricité. Dans un pays où l’énergie est à la fois rare et précieuse, la répression se veut exemplaire. Pourtant, malgré la levée officielle des restrictions énergétiques le 11 avril 2025, une grande partie de la capitale, Douchanbé, reste plongée dans le noir à la nuit tombée. Faut-il y voir une contradiction de plus dans la gestion du secteur énergétique tadjik ? Ce paradoxe éclaire, en creux, la crise structurelle que traverse le pays.
Un contrôle accru sur l’électricité, au prix fort pour les citoyens
Le président Emomali Rahmon n’a pas mâché ses mots. Le 27 mars 2025, il dénonçait une « consommation excessive et irresponsable » d’électricité et appelait à renforcer les contrôles. Quelques jours plus tard, un décret officialisait le création d’une nouvelle entité : l’Agence de supervision énergétique d’État. Placée sous l’autorité directe de la présidence, cette agence sera composée de 157salariés, dont 46 au siège. L’objectif ? Mettre fin au gaspillage, aux détournements et aux pertes qui grèvent un système à bout de souffle.
Selon le ministère de l’Énergie, les pertes d’électricité se sont élevées à 4,5 milliards de kilowattheures en 2024, soit 20% de la production totale du pays. Le ministère attribue l’essentiel de ces pertes à des vols. Dans la foulée, les députés ont adopté des amendements au Code pénal : le vol d’électricité est désormais passible de 3 à 10 ans de prison, ou d’une amende pouvant atteindre l’équivalent de 8.300 euros. Le ministre de la Justice, Muzaffar Ashuriyon, a déclaré : « Environ 150 millions de somonis (12 millions d’euros) sont gaspillés chaque année à cause de connexions illégales et de manipulations de compteurs ».
Éclairage nocturne : la capitale du Tadjikistan toujours dans l’ombre
Et pourtant, malgré cette répression renforcée, les habitants de Douchanbé ne voient toujours pas le bout du tunnel… ou plutôt de la rue. Alors que les restrictions énergétiques ont officiellement été levées le 11 avril 2025, l’éclairage public n’a pas été rétabli dans de nombreux quartiers.
« Nous n’avons reçu aucune instruction de la mairie pour rétablir l’éclairage public », a expliqué un responsable du service « Éclairage de la ville de Douchanbé » au média Asia-Plus. Il ajoute que « l’éclairage a été restauré uniquement sur certaines artères centrales, selon un horaire précis de 22h à 3h, afin d’économiser l’électricité. En attendant, les résidents se fraient un chemin dans la pénombre en utilisant la lumière de leurs téléphones portables. Une scène familière pour les dix millions de Tadjiks habitués à des hivers entiers de rationnement.
Une pénurie structurelle : entre fragilité hydraulique et mégaprojets incertains
Pour comprendre la situation, il faut remonter à la racine du mal. Le Tadjikistan dépend à 95% de l’hydroélectricité. Or, avec des précipitations de plus en plus rares et des hivers de plus en plus secs, cette source devient instable. Chaque année, les coupures commencent dès septembre et peuvent durer jusqu’en avril. L’infrastructure, héritée de l’ère soviétique, n’a pas été modernisée à la mesure des besoins croissants : la consommation a doublé depuis 1991.
La réponse des autorités porte un nom : le barrage de Rogoun. Présenté comme le plus haut du monde (335 mètres) et capable de produire 3.600 mégawatts, ce colosse hydroélectrique mobilise actuellement 17.000 ouvriers. Sa mise en service complète est régulièrement annoncée comme l’horizon énergétique du pays. Pourtant, le coût du projet — estimé à 6 milliards de dollars — suscite autant d’espoir que de scepticisme. D’autant que ses répercussions géopolitiques inquiètent. L’Ouzbékistan, en aval, redoute que la retenue d’eau ne compromette son propre accès aux ressources hydriques.
Tarifs en hausse et inégalités criantes
Comme si cela ne suffisait pas, les tarifs de l’électricité ont été augmentés au 1er avril 2025. Le kilowatt-heure est passé de 30,75 à 35,36 dirams (soit environ 0,03 euro). Une décision particulièrement impopulaire dans un pays où le salaire moyen avoisine les 180 euros mensuels. Le paradoxe est d’autant plus criant que des acteurs industriels comme TALCO — l’un des plus gros consommateurs du pays — continuent de bénéficier de tarifs largement inférieurs à ceux imposés aux ménages. Une situation dénoncée par plusieurs économistes et citoyens, qui y voient une « injustice énergétique » institutionnalisée.
Tandis que les autorités tadjikes affûtent leur arsenal législatif contre les fraudeurs, le noir continue de recouvrir les rues de Douchanbé. L’énergie se fait rare, les sanctions pleuvent, mais la lumière tarde à revenir. Et si le véritable défi n’était pas tant de punir que de produire, distribuer, et moderniser ?