Une plaine poussiéreuse, des hélicoptères qui rugissent, des troupes en marche : à première vue, un banal exercice militaire. Mais derrière le décor, c’est toute une architecture sécuritaire qui se renforce entre la Russie et le Tadjikistan, sous l’œil attentif de l’Organisation du traité de sécurité collective.
Exercices conjoints : la Russie et le Tadjikistan sur le pied de guerre
Entre le 7 et le 11 avril 2025, les forces armées russes et tadjikes se sont déployées sur le polygone de Kharb-Maidon, au cœur de la région montagneuse et désertique de Khatlon, au Tadjikistan. Officiellement, il s’agit d’un « exercice antiterroriste conjoint ». Officieusement ? Un signal politique fort, un rappel de l’ancrage russe dans la région et de la dépendance stratégique du Tadjikistan à son allié septentrional.
La cérémonie d’ouverture, savamment orchestrée, donnait le ton : hymnes nationaux joués par des orchestres militaires, drapeaux levés en fanfare, défilé au pas cadencé. L’image est soignée, le message est clair : les deux États marchent au pas dans la guerre contre l’instabilité.
Ces exercices ont mis l’accent sur la simulation d’une réponse militaire coordonnée à une incursion de groupes armés illégaux. En clair, un scénario de percée ennemie sur un territoire membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l’alliance militaire régionale pilotée par Moscou. Le théâtre des opérations : une zone escarpée, propice à des opérations de guérilla, miroir du terrain afghan tout proche.
Le contingent russe était principalement issu de la 201ᵉ base militaire, fer de lance de la présence militaire russe en Asie centrale. Troupes de montagne, blindés, pièces d’artillerie, opérateurs de guerre électronique, drones kamikazes FPV, sans oublier les hélicoptères Mi-24 et Mi-8MTV5-1 : le déploiement était massif, sophistiqué et résolument moderne.
Une alliance cimentée par l’OTSC
Créée en 1992, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) réunit six pays : la Russie, le Tadjikistan, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizstan. Officiellement comparable à l’OTAN sur papier, elle reste de facto dominée par Moscou, dont la puissance militaire écrase largement celle de ses alliés. Mais l’intérêt est réciproque. Pour le Tadjikistan, enclavé et confronté à une frontière poreuse avec l’Afghanistan, l’OTSC est un gilet pare-balles diplomatique. Pour la Russie, c’est un levier d’influence dans une Asie centrale, qu’elle entend conserver sous tutelle sécuritaire.
Ces exercices – appelés à se répéter, voire à s’intensifier – offrent ainsi une plateforme d’entraînement, mais surtout une démonstration de loyauté. Une fidélité stratégique, essentielle à l’heure où la Russie se voit contestée sur d’autres fronts.
De Kharb-Maidon à Koursk : un même scénario, deux terrains
Ce qui s’est joué dans les plaines de Khatlon cette semaine n’est pas un cas isolé. En août 2025, une autre série d’exercices est prévue dans la région russe de Koursk, frontalement concernée par les retombées de la guerre en Ukraine. Le fil rouge de ces manœuvres ? Toujours cette fameuse « percée ennemie » à contenir, voire à neutraliser.
Ces deux théâtres d’opérations – Khatlon et Koursk – incarnent deux points de tension majeurs : l’un au sud, tourné vers l’instabilité islamiste ; l’autre à l’ouest, directement imbriqué dans le conflit ukrainien. Et dans les deux cas, la Russie ajuste ses pions militaires et diplomatiques pour affirmer un contrôle préventif du chaos.
Une question reste néanmoins en suspens : ces exercices sont-ils de simples simulations défensives ou les prémices d’un redéploiement militaire plus large de la Russie dans son espace post-soviétique ?
Un entraînement, ou un avertissement ?
L’exercice de Kharb-Maidon n’est pas une répétition ordinaire. Il traduit une consolidation des alliances militaires face à un monde perçu comme de plus en plus hostile par Moscou. Que ce soit pour contenir le débordement afghan ou anticiper des tensions à sa frontière occidentale, la Russie s’organise, s’entraîne et fédère.
Mais derrière les salves de fusils d’assaut et les frappes simulées d’hélicoptères d’attaque, il faut entendre une autre musique : celle de l’influence, du contrôle, et du verrouillage d’un flanc stratégique trop longtemps négligé par les puissances occidentales. La guerre en Ukraine monopolise les regards, mais l’Asie centrale, elle, se prépare aussi. En silence, mais sous très haute tension.