Le président Shavkat Mirziyoyev promet de faire disparaître la bureaucratie en Ouzbékistan d’ici 2030. Portée par la numérisation massive des démarches administratives, cette ambition marque un tournant politique et économique majeur. Derrière l’annonce, les chiffres impressionnent, mais les enjeux restent considérables pour un État encore très centralisé.
Bureaucratie et numérisation : une promesse présidentielle radicale
Le 28 novembre 2025, à Tachkent, le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev a lancé un programme national baptisé « Élimination de la bureaucratie – 2030 ». L’objectif affiché est clair : transformer l’Ouzbékistan en un pays à « zéro bureaucratie ». Cette réforme, fondée sur la numérisation à grande échelle des démarches administratives, repose sur une refonte profonde des outils de l’État et de ses pratiques.
La déclaration présidentielle ne laisse aucune place à l’ambiguïté. « Notre objectif final est de transformer l’Ouzbékistan en un pays à bureaucratie zéro d’ici 2030 », a affirmé Shavkat Mirziyoyev lors du forum international tenu à Tachkent le 28 novembre 2025. Derrière cette formule se dessine une volonté politique forte, qui associe directement la réduction de la bureaucratie à la modernisation de l’État. Le président a rappelé que « les organes de l’État doivent servir notre peuple, et non l’inverse », posant ainsi la réforme comme un changement de philosophie du pouvoir public.
Dans cette optique, la numérisation devient l’outil central de la transformation. Ainsi, 95% des services publics devront être accessibles en ligne d’ici 2030. En d’autres termes, la quasi-totalité des démarches administratives quotidiennes devra pouvoir être effectuée sans déplacement, sans dossier papier et sans passage par les guichets traditionnels. Aujourd’hui, le pays compte déjà 1.040 services publics, contre seulement 444 en 2017. L’objectif affiché est d’atteindre 1.500 services numériques d’ici la fin de la décennie. La trajectoire est donc claire : plus de services, moins de paperasse, et une bureaucratie progressivement vidée de ses lourdeurs physiques.
La réforme ne repose pas uniquement sur l’accès en ligne. Elle s’appuie aussi sur une transformation interne des administrations. Plus de 25 millions de documents parmi les 40 millions actuellement conservés par l’État doivent être numérisés. À cela s’ajoutent 5 millions de documents supplémentaires à intégrer dès 2026. Cette bascule massive vers le sans-papier modifie en profondeur les outils de travail de l’administration. Elle implique également une sécurisation accrue des données, ainsi qu’une interconnexion continue entre les ministères. En parallèle, 400 services devront, à terme, être fournis de manière proactive, c’est-à-dire sans que le citoyen n’ait à déposer une demande formelle.
Bureaucratie, démarches administratives et outils numériques : un chantier colossal
La réduction de la bureaucratie ne repose pas uniquement sur la dématérialisation. Elle s’accompagne surtout d’un vaste chantier de simplification des démarches administratives. Plus de 300 procédures liées aux licences, aux permis, aux raccordements aux réseaux publics ou encore aux autorisations de construction vont être revues. Dans ce cadre, un système de guichet unique sera progressivement généralisé. Une seule demande devra suffire pour engager plusieurs démarches simultanées, notamment pour les raccordements à l’électricité, à l’eau ou au gaz.
Ce basculement vers le guichet unique numérique modifie radicalement la relation entre l’État, les entreprises et les citoyens. Jusqu’à présent, chaque démarche impliquait souvent plusieurs administrations, des formulaires redondants et des délais difficiles à maîtriser. Désormais, grâce aux outils numériques, l’information devra circuler automatiquement entre les services. Le citoyen devient un usager unique, tandis que l’administration se charge de l’échange de données internes. Cette logique vise à supprimer les files d’attente, à réduire les délais et à limiter les risques de corruption liés aux interactions répétées avec les fonctionnaires.
Pour accompagner cette transformation, un fonds spécifique a été créé afin d’encourager les initiatives de réduction de la bureaucratie. Ce fonds est doté de 3 millions de dollars, soit environ 2,76 millions d’euros au taux de change actuel. Il doit financer des projets innovants, des propositions citoyennes, mais aussi des réformes internes portées par des agents publics. Cette incitation financière traduit une volonté d’impliquer l’ensemble de l’appareil administratif, mais aussi la société civile, dans la transformation numérique de l’État. La bureaucratie est ainsi présentée non plus comme une fatalité, mais comme un obstacle collectif à supprimer.
La gouvernance du programme s’appuie sur un dispositif institutionnel dédié. La coordination du projet est confiée à un bureau spécial placé sous l’Agence pour le développement stratégique et les réformes. Ce choix institutionnel n’est pas anodin. Il place la lutte contre la bureaucratie au cœur de l’agenda stratégique du pays, au même niveau que les grandes réformes économiques et industrielles. La numérisation devient ainsi un pilier transversal, qui touche à la fois les démarches administratives, les investissements, la fiscalité et les politiques sociales.
Bureaucratie et Ouzbékistan : enjeux politiques, économiques et sociaux
Au-delà des aspects techniques, la promesse de « zéro bureaucratie » soulève des enjeux politiques majeurs. Depuis son arrivée au pouvoir, Shavkat Mirziyoyev a fait de la modernisation de l’État un axe central de sa stratégie. La réduction de la bureaucratie s’inscrit dans cette ligne, en cherchant à rompre avec l’héritage administratif soviétique, marqué par la centralisation, le contrôle et la lourdeur procédurale. En s’attaquant aux démarches administratives, le pouvoir vise aussi à renforcer la confiance de la population dans les institutions, dans un pays où les lenteurs administratives ont longtemps été perçues comme un frein majeur.
Sur le plan économique, l’enjeu est tout aussi déterminant. La simplification des démarches administratives est un levier direct pour l’attractivité des investissements. Les entrepreneurs, locaux comme étrangers, se plaignent depuis des années de la complexité des licences, des autorisations et des raccordements. En réduisant le nombre d’étapes, en centralisant les outils numériques et en généralisant la numérisation, l’État espère raccourcir les délais de création d’entreprises, faciliter les projets industriels et limiter les surcoûts administratifs. Dans un contexte de compétition régionale en Asie centrale, la réduction de la bureaucratie devient ainsi un argument économique stratégique.
L’impact social de cette transformation reste cependant plus incertain. La numérisation massive suppose une maîtrise généralisée des outils numériques. Or, si l’Ouzbékistan a fortement progressé ces dernières années en matière de connectivité, des écarts persistent entre les zones urbaines et rurales. La transformation des démarches administratives en services exclusivement numériques pourrait, à court terme, créer de nouvelles formes d’exclusion pour les populations les plus âgées ou les moins connectées. Le défi consiste donc à réduire la bureaucratie sans créer une fracture numérique durable.
Enfin, la mise en œuvre effective du programme reste la principale inconnue. Sur le papier, les objectifs sont chiffrés, structurés et pilotés. Mais la suppression réelle de la bureaucratie suppose un changement de culture administrative profond. Elle implique de rompre avec des pratiques anciennes, parfois enracinées depuis des décennies. La réussite du projet dépendra donc autant de la performance des outils numériques que de l’adhésion des administrations elles-mêmes à cette révolution annoncée.
