Le Kirghizstan vient d’adopter une mesure forte dans le cadre de son action contre les violences conjugales : des bracelets électroniques vont être imposés aux personnes condamnées pour violence domestique. Coup de projecteur sur ce dispositif inédit, ses modalités, ses limites et les défis de sa mise en œuvre dans un pays encore aux prises avec des violences familiales persistantes.
Lutter contre le harcèlement des victimes
Le parlement kirghize a adopté des amendements législatifs modifiant le Code des infractions et la loi sur la protection contre la violence domestique, instaurant le recours obligatoire aux bracelets électroniques pour les auteurs de violences en famille. Cette mesure s’inscrit dans une volonté manifeste de renforcer la réponse judiciaire aux violences conjugales dans le pays.
Le nouveau texte prévoit que le juge peut imposer des restrictions assorties de surveillance électronique pour une durée maximale de trois mois. Ces restrictions peuvent inclure un interdiction de contact avec la victime, une interdiction de harcèlement (stalking), une interdiction de sortir d’un périmètre déterminé, ou de s’approcher de certaines zones. En cas de manquement aux obligations imposées, l’auteur s’expose à une peine d’arrestation administrative de 7 à 14 jours.
Des moyens technologiques contraignants pour assurer le respect des restrictions imposées
Le dispositif reposera sur des bracelets fonctionnant via le réseau GSM, en liaison avec les opérateurs mobiles, et ne pourront pas être retirés par les porteurs. Les appareils seront reliés à un centre de monitoring géré par le ministère de la Justice, assurant une surveillance 24h/24. Si le bracelet enregistre un rapprochement interdit entre l’agresseur et la victime, l’alerte est transmise à la police, qui peut solliciter une décision d’arrestation. Le ministère de la Justice rappelle que cette technologie est identique à celle déjà utilisée dans le cadre de la probation depuis environ deux ans.
Selon le vice-ministre de la Justice, Almazbek Zarylbek uulu, le système des ordres de protection existants, imposés par la police, manquait de moyens de contrôle effectif. Le projet de loi vise à pallier cette faiblesse en introduisant des moyens technologiques contraignants capables d’assurer le respect des restrictions imposées aux auteurs de violences. Cette initiative s’inscrit aussi dans l’engagement national du Kirghizstan à respecter ses obligations internationales en matière de droits humains, en particulier dans la lutte contre la violence faite aux femmes.
La surveillance électronique est une mesure alternative limitée dans le temps (trois mois maximum). Le législateur a ajouté la notion de stalking dans l’article 70, ce qui permet d’encadrer les comportements de harcèlement non violents (appels répétés, surveillance). Le non-respect de la surveillance ne peut entraîner qu’une migration vers une peine administrative limitée (7–14 jours) dans le cadre du dispositif législatif prévu. La relation entre l’organe de police et le centre de monitoring devra être bien définie pour assurer la transmission effective des alertes.
Même si les autorités affirment que l’infrastructure technique existe grâce au système de probation, la mise en œuvre généralisée du dispositif bracelets électroniques pose des défis : nombre de bracelets nécessaires, maintenance, couverture réseau dans les zones rurales, coût des appareils et de la gestion centrale. La structuration d’un centre de monitoring 24h/24 viendra avec des besoins en formation du personnel, fiabilité des alertes, et coordination rapide des forces de l’ordre.
Des questions demeurent sur le respect de la vie privée, des droits individuels et le contrôle judiciaire
Le dispositif est conçu pour les zones urbaines avec une couverture mobile fiable. Mais dans les zones reculées du Kirghizstan, la réponse policière face à une alerte peut être retardée, ce qui limite l’efficacité pratique du système. Certains députés ont souligné ce problème dans le débat parlementaire, en questionnant la rapidité d’intervention en milieu rural.
L’introduction de bracelets électroniques soulève des interrogations en matière de droit à la vie privée et de surveillance des personnes, même condamnées. L’opinion de la Commission de Venise rappelle que toute mesure de ce type doit respecter les principes de légalité, de proportionnalité et de transparence juridique, notamment en clarifiant les définitions (par exemple entre surveillance préliminaire et postérieure). Le texte doit préciser le cadre légal exact, les organes responsables, les droits de contestation et les garanties procédurales pour les auteurs.
Mais, par-dessus tout, la mesure doit surmonter la réticence culturelle à parler des violences conjugales et la peur des victimes à dénoncer leur agresseur. Même si le bracelet électronique est un outil fort, son efficacité dépend de la volonté d’appliquer effectivement les ordres de protection et d’assurer le soutien aux victimes (logement sécurisé, assistance psychosociale, services d’urgence). Des critiques émanant de députés ont déjà pointé l’absence de centres de crise ou de ressources pour reloger les victimes et séparer agresseur et victime.