Istiklol, la ville du Tadjikistan où plane encore l’ombre du passé nucléaire soviétique
Istiklol

Dans cette ville encaissée du nord du Tadjikistan, les collines couleur rouille dissimulent un legs invisible mais redoutable : des millions de tonnes de déchets d’uranium laissés par l’ère soviétique. Alors qu’Istiklol tente de se reconstruire, le pays sollicite l’AIEA pour enfin désamorcer cette bombe environnementale à ciel ouvert.

Des gisements d’uranium à ciel ouvert jusque dans les années 1960

À Istiklol, petite ville de la région de Soghd, au nord du Tadjikistan, les montagnes de pierres brunâtres qui encerclent les habitations ne sont pas de simples collines. Ce sont des témoins silencieux de l’ère soviétique, lorsque cette localité, connue alors sous le nom de Taboshar, constituait l’un des centres névralgiques de la production d’uranium destinée au programme nucléaire de Moscou. Plus d’un demi-siècle plus tard, le pays tente de solder ce lourd héritage. Le gouvernement tadjik a ainsi engagé de nouvelles discussions avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le devenir des déchets radioactifs qui subsistent à Istiklol et menacent toujours l’environnement et la santé publique.

La présence de déchets liés à l’uranium n’est pas anecdotique. Dès les années 1940, Taboshar s’était imposé comme un maillon clé de l’approvisionnement en minerais stratégiques pour l’Union soviétique. Des gisements d’uranium y furent exploités de façon intensive jusque dans les années 1960. Une usine de traitement, des ateliers de broyage et plusieurs carrières avaient été implantés à flanc de montagne pour alimenter les ambitions nucléaires du Kremlin. Selon un rapport technique de l’Agence internationale de l’énergie atomique, près de 55 millions de tonnes de déchets miniers ont fini par s’accumuler sur ces sites, dont environ 12 millions de tonnes de résidus directement issus du traitement de l’uranium.

À Istiklol, le célèbre monticule de sable radioactif a été aplati

Après l’effondrement de l’URSS, les infrastructures furent laissées à l’abandon, livrées aux intempéries et aux vents violents qui soulèvent encore parfois des poussières radioactives jusque dans les ruelles de la ville. Les anciens bassins de décantation sont restés des décennies sans couverture de protection, ouverts à la pluie et aux troupeaux qui paissent alentour. « Quand il fait humide, on ressent comme des picotements dans la gorge et des maux de tête », confiait un habitant à un journaliste de Cabar.asia, décrivant la peur diffuse qui habite toujours une partie de la population.

Depuis plusieurs années, Douchanbé tente pourtant de tourner la page. Un premier programme national de réhabilitation a été lancé en 2016, puis prolongé jusqu’en 2030. La société publique russe Rosatom a pris part à certaines opérations de dépollution menées à Istiklol. Elle a notamment procédé à la réduction d’un immense monticule de sable radioactif, passant de 65 à 35 mètres de hauteur, avant de le recouvrir d’une épaisse couche d’argile et de terre propre d’environ 1,5 mètre. Des systèmes de drainage ont été installés et plusieurs bâtiments industriels démantelés pour empêcher tout lessivage des particules contaminées vers les nappes phréatiques.

Déchets nucléaires : le Tadjikistan sonne l’alerte auprès de l’AIEA

Malgré ces efforts, l’inquiétude demeure. Le Tadjikistan a rappelé à la tribune de la conférence générale de l’AIEA, le 15 septembre 2025, que ces anciens sites nucléaires représentaient encore « un haut risque de situations d’urgence » et avaient déjà « des effets néfastes sur l’environnement et la santé publique », selon les mots d’Aziz Nazar, représentant permanent du pays auprès de l’organisation. Le gouvernement souhaite désormais que ces installations abandonnées soient intégrées à la troisième phase du « Strategic Master Plan for Uranium Legacy Sites » coordonné par l’AIEA en Asie centrale.

Le chantier reste colossal. Les anciennes usines et leurs haldes couvrent plusieurs dizaines d’hectares autour d’Istiklol, parfois en lisière immédiate des habitations. Le sol, longtemps imprégné de poussières de minerai, nécessite un suivi radiologique constant pour éviter toute dispersion de substances nucléaires. Mais les données publiques restent rares : aucun relevé détaillé de la radioactivité dans l’air, l’eau ou le sol n’a encore été publié depuis la fin des travaux de Rosatom. Cette opacité alimente les soupçons d’une partie des habitants, qui craignent que la contamination n’ait été qu’atténuée, et non éliminée.

L’enjeu dépasse toutefois la seule ville d’Istiklol. Plusieurs autres sites hérités du programme nucléaire soviétique jalonnent encore le territoire du Tadjikistan, notamment à Degmay et à Khodjent, avec eux aussi leurs montagnes de déchets d’uranium. Pour Douchanbé, qui n’a jamais possédé d’armes atomiques mais a porté une part du fardeau industriel soviétique, ces lieux sont devenus autant de passifs environnementaux à gérer. En travaillant main dans la main avec l’AIEA, le gouvernement espère mobiliser davantage d’aides internationales et clore, un jour, le chapitre radioactif de son histoire.

Par Rodion Zolkin
Le 09/20/2025

Newsletter

Pour rester informé des actualités de l’Asie centrale