Pension automatique au Kazakhstan : progrès ou piège invisible ?
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Et si, cette fois, l’administration s’occupait de vous sans que vous ayez à lever le petit doigt ? Une promesse tentante, un mécanisme opaque. Au Kazakhstan, l’attribution d’une pension devient automatique, paraît-il. Mais qu’est-ce que cela change vraiment ?

Automatiser la pension : une révolution technocratique sous condition

Depuis le 29 juillet 2025, le Kazakhstan a entamé un virage numérique dans son système de pensions. Objectif officiel : simplifier la vie des futurs retraités en automatisant les démarches à l’atteinte de l’âge légal de départ. Mais derrière l’annonce, une réalité bien plus contrastée surgit. Car si la retraite est attribuée d’office, elle peut aussi être suspendue en silence.

Le gouvernement kazakhstanais entend en effet moderniser son dispositif. À l’âge légal — 63 ans pour les hommes, 61 ans pour les femmes (en 2025) —, les dossiers sont désormais générés automatiquement, sans démarche du citoyen. Cette automatisation repose sur un système de « scoring par âge », comme l’a expliqué Kanysh Tuleushin, vice-ministre de la numérisation, lors d’une réunion gouvernementale. Il a déclaré sans détour : « Aujourd’hui, en mode pilote, un nouveau principe est mis en œuvre. À partir des données d’âge, la plateforme forme automatiquement le dossier de pension, vérifie les informations sur le parcours professionnel et attribue les versements sans démarche du citoyen ».

Résultat annoncé : la procédure est réduite à un jour au lieu de dix, et ne comprend plus qu’une étape administrative contre six auparavant. Voilà pour la vitrine. Mais attention : cette automatisation ne signifie ni simplicité absolue ni sécurité totale.

Une pension suspendue sans prévenir ? Oui, cela arrive

Car une fois la pension attribuée, encore faut-il qu’elle soit versée. Et là, le mécanisme se corse. Bayan Khasenova, la directrice adjointe du département de la Sécurité sociale au ministère du Travail, a confirmé que les paiements peuvent être suspendus dans certaines situations. Et elle ne tourne pas autour du pot : « Si le citoyen quitte le territoire national ou s’abstient trop longtemps de réclamer sa pension, les versements sont suspendus jusqu’à clarification de la situation. Ils reprennent ensuite intégralement, avec effet rétroactif ».

Cette suspension, n’est pas une sanction mais une mesure de contrôle, avance le gouvernement. Officiellement, elle sert à éviter les versements frauduleux, notamment lorsque des retraités décédés continuent de « percevoir » leurs prestations… via des proches peu scrupuleux.

L’exil, ce péché silencieux du retraité

Le retraité kazakhstanais s’expatriant sans prévenir se trouve, de facto, dans la zone grise du système. Le pays n’a pas toujours d’accords de versement international, et même dans le cas contraire, il faut une déclaration explicite du bénéficiaire. À défaut, les algorithmes considèrent le compte inactif — et donc suspect. Résultat : la pension est gelée. Il faudra fournir des justificatifs, voire réactiver tout le dossier. Ce qui, ironie du sort, contrevient à la fameuse automatisation vantée par le gouvernement.

Et les cas ne sont pas marginaux. En 2024, selon le Fonds de pension du Kazakhstan, plus de 30% des actifs ne participaient pas au système de retraite. Difficile, dans ces conditions, d’en attendre un suivi homogène à l’âge légal.

Quand l’automatisation se retourne contre le retraité

Le pilotage algorithmique du système repose sur un prérequis : la transparence totale des données personnelles. Cela suppose que l’historique professionnel soit connu, validé, complet, centralisé. Or ce n’est pas toujours le cas. Certains retraités ayant travaillé à l’étranger, dans le secteur informel ou dans les zones rurales, constatent des trous dans leurs carrières. Or, pas de données, pas de pension. L’attribution automatique devient alors… une non-attribution.

Et même lorsque tout est conforme, il reste une étape critique : l’identité numérique. Les notifications par SMS n’atteignent que ceux qui sont enregistrés. Ceux qui n’ont ni téléphone ni compte sur la plateforme egov.kz ? Invisibles. Inexistants. Évincés.

Une réforme inachevée, des droits fragiles

Le gouvernement présente cette réforme comme une avancée administrative majeure. C’est vrai, en partie. Mais il serait irresponsable de la qualifier de protection absolue. Car ce qui se dessine, c’est un modèle à deux vitesses.

D’un côté, les urbains connectés, bien enregistrés, suivis à la trace par les bases de données. De l’autre, ceux qui ont décroché du numérique, changé de région, ou tout simplement quitté le pays. Eux devront prouver qu’ils existent, pour toucher ce qui leur revient de droit.

Un progrès technique, des inégalités sociales

Attribuer une pension d’office n’est pas un acte neutre. C’est un choix politique : celui d’un État qui déclare connaître mieux que ses citoyens leurs besoins. En théorie, cela supprime les barrières bureaucratiques. En pratique, cela crée des angles morts. Et surtout, cela ne protège pas contre les suspensions discrètes, les erreurs de calcul, les omissions. Le progrès administratif n’est pas toujours synonyme de justice sociale. Et dans le Kazakhstan de 2025, la retraite automatisée est encore loin de garantir la tranquillité des vieux jours.

Par Rodion Zolkin
Le 07/30/2025

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