Le 22 juillet 2025, un projet bien particulier a été présenté à Astana par la ministre du Travail du Kazakhstan, Svetlana Jakoupova : un registre numérique des kazakhs ethniques vivant à l’étranger. Officiellement, il s’agit de mieux « planifier les mesures de soutien » destinées à ceux qui voudraient revenir sur la terre de leurs ancêtres. En coulisses, c’est une révolution migratoire d’une rare sophistication qui se met en place – fondée sur l’ethnicité, encadrée par l’État, numérisée à tous les niveaux.
Le Kazakhstan numérise la diaspora : naissance d’un registre ethnique
Ce fichier centralisé, développé à partir de la plateforme Migration.enbek.kz, n’est pas un simple annuaire. Il mobilise les ambassades, les associations diasporiques, le fonds Otandastar et surtout, une logique de profilage renforcé. L’initiative s’inscrit dans une réforme de grande ampleur : repenser l’accueil des kandas, ces Kazakhs « de retour » que le pays tente d’attirer depuis son indépendance.
Tests ADN, entretiens culturels : retour en terre promise sous conditions
Le mot « kandas » signifie « lié par le sang ». Au Kazakhstan, il s’écrit désormais en lettres numériques et se vérifie en laboratoire. Faute de papiers, les candidats au retour doivent fournir un test moléculaire pour prouver leur kazakhité. À cela s’ajoute un entretien en langue nationale, doublé d’une évaluation de la connaissance des traditions nationales. Pas question d’accueillir n’importe qui : la patrie réclame une preuve d’origine, un minimum de culture et une promesse d’intégration.
Tout est pensé dans les moindres détails : les kandas bénéficient d’une aide au logement pouvant atteindre l’équivalent de 600 euros, de compensations mensuelles comprises entre 130 et 260 euros durant un an, et, dans certains cas, d’une subvention couvrant jusqu’à 50% du coût de leur nouveau domicile, soit environ 9.600 euros. Mais attention : les aides sont conditionnées à la résidence, et tout départ non autorisé entraîne une obligation de remboursement. Derrière les bons sentiments, une logique de rendement implacable.
Kandas et contrôle migratoire : les chiffres derrière la stratégie
Depuis le début de l’année 2025, 3.203 kandas ont franchi les portes du pays. Une majorité en provenance de Chine (48,1%), suivie de près par l’Ouzbékistan (39,5%). L’an passé, ils étaient plus de 12.000. Et depuis 1991, plus de 1,14 million de kazakhs ethniques ont été « récupérés ». Une politique de long cours, qui s’accélère avec la numérisation et la pression démographique. Les régions ciblées ? Les zones en pénurie de main-d’œuvre : Pavlodar, Kostanaï, Akmola, Abay…
Pour rationaliser ce grand retour, une nouvelle plateforme – « Kandas », justement – est en cours de déploiement. Objectif : centraliser les procédures, simplifier les démarches, et suivre pas à pas chaque bénéficiaire. De quoi rassurer les autorités, inquiètes de voir les aides mal utilisées ou les nouveaux arrivants mal intégrés.
Carte « Ata Zholy » et « Kazakh Card » : la nationalité au rabais ?
À côté du statut de kandas, deux dispositifs viennent étoffer l’arsenal identitaire kazakh. D’abord la carte Ata Zholy, créée en 2023, qui offre un droit de résidence et de travail pour dix ans aux Kazakhs de la diaspora, sans obligation d’abandonner leur nationalité d’origine. Ensuite, la très sélective « Kazakh Card », promise à ceux qui possèdent un profil rare ou des compétences spécifiques. Accès facilité à l’investissement, appui administratif, intégration ciblée… mais aucun droit politique. On reste kazakh de l’extérieur, sous surveillance bienveillante.
Ce nationalisme doux, habillé d’aides sociales et de plateformes numériques, redéfinit la notion de citoyenneté. On n’est plus Kazakh par passeport, mais par lignée, par culture, par projet professionnel. Et pour les autorités, c’est l’occasion rêvée de trier, canaliser, répartir la population selon les besoins économiques du moment.