Le 10 juillet 2025, le gouvernement de l’Ouzbekistan a approuvé, par décret du Cabinet des ministres, un plan stratégique fixant les orientations de l’intelligence artificielle (IA) pour la période 2025-2026. Pas moins de 60 projets prioritaires ont été validés dans ce cadre, impliquant un éventail large d’acteurs : ministères, instituts médicaux, partenaires privés et établissements d’enseignement supérieur.
L’intelligence artificielle comme auxiliaire de santé publique
L’Ouzbékistan met les bouchées doubles sur l’intelligence artificielle. Objectif ? Implanter l’IA dans tous les secteurs névralgiques. Santé, justice, logistique, agriculture, énergie, services publics : le plan est exhaustif, presque fébrile. L’ambition la plus médiatique concerne sans doute la numérisation des soins médicaux. À Tachkent, deux quartiers pilotes – Almazar et Yunusabad – testeront un assistant médical intelligent, capable d’enregistrer vocalement les diagnostics dans le système DMED, une plateforme numérique centralisée.
Et ce n’est qu’un début. Un programme d’IA de détection précoce du cancer du sein via l’analyse de mammographies est annoncé dans deux centres : le Centre national de cancérologie et une clinique privée. Parallèlement, un logiciel de lecture automatisée des radiographies thoraciques et des scanners doit évaluer les risques oncologiques pulmonaires.
Encore plus ambitieux : la création d’un modèle prédictif des besoins en médicaments, destiné à guider les achats publics. Le ministère de la Santé espère que ces outils permettront d’« améliorer l’efficacité du système et de lutter contre les pénuries ».
Justice et administration : quand l’IA rédige vos jugements
L’obsession bureaucratique ouzbèke ne pouvait ignorer la justice. Un module d’IA capable de calculer automatiquement les frais de justice sera développé, de même qu’une plateforme d’analyse des textes législatifs à destination des avocats, magistrats et citoyens.
Plus audacieux encore : un système de transcription des procès en ouzbek avec séparation des voix – une technologie appelée « diarisation » – devrait bientôt permettre l’archivage automatisé des débats.
Le gouvernement veut également automatiser la rédaction des projets de décision judiciaire. Un pas de plus vers ce que certains qualifient de « justice sans juge » ?
L’intelligence artificielle comme vigile urbain et logisticien
Tachkent veut aussi surveiller ses rues grâce à la machine. Le système « UzFace », basé sur la reconnaissance faciale, sera testé à l’entrée des gares ferroviaires pour identifier les citoyens. En parallèle, l’IA devra détecter les infractions mineures, comme le franchissement illégal de la chaussée ou les déchets jetés en public.
Les scooters électriques ? L’IA sera chargée d’identifier les comportements à risque. Le gouvernement prévoit aussi un système de détection de somnolence et d’usage du téléphone au volant, ciblant les conducteurs de bus et de camions.
Et ce n’est pas tout : la surveillance automatisée des voies ferrées, des routes et des lignes électriques est prévue pour renforcer la maintenance prédictive des infrastructures.
Industrie, écologie, énergie : l’intelligence artificielle multifonctions
En matière d’aérospatiale, les autorités ouzbèkes entendent utiliser les données satellitaires radar couplées à l’IA pour surveiller l’occupation des sols agricoles, détecter les constructions illégales ou encore localiser les emplacements optimaux pour les panneaux solaires.
L’industrie minière ne sera pas épargnée : un logiciel de détection des anomalies sur les sites d’extraction sera mis en place. Et pour prévenir la corruption, l’IA scrutera les dépenses publiques et les comptes bancaires des fournisseurs durant les appels d’offres.
Enfin, un robot doté de capteurs visuels évaluera l’accessibilité des infrastructures pour les personnes handicapées. Une IA chargée… de repérer les obstacles à la mobilité humaine.
L’intelligence artificielle au service des services publics
Sur le portail des services de l’État, un chatbot vocal et textuel capable de répondre aux demandes des citoyens doit être déployé. Le gouvernement souhaite également intégrer des fonctions de remplissage automatique des formulaires, de vérification des pièces jointes et de commande vocale pour les démarches administratives.
Côté infrastructure numérique, le ministère du Numérique a été chargé d’acheter, d’ici juin 2026, un cluster informatique à haute performance pour l’Université Inha de Tachkent. Un socle indispensable pour entraîner les futurs modèles de traitement automatique du langage.
Et pour que l’administration suive, des formations massives à l’intelligence artificielle sont désormais obligatoires pour les agents publics et les professionnels du numérique.
Une stratégie offensive… mais sous surveillance
Cette frénésie technologique ne s’improvise pas. Elle s’inscrit dans une stratégie étatique globale, confirmée par le décret présidentiel PQ‑358 du 14 octobre 2024, qui ambitionne de positionner l’Ouzbékistan comme hub régional de l’IA d’ici 2030.
Mais au-delà des discours, plusieurs questions demeurent. Quelle place pour la transparence dans le déploiement de ces outils ? Quelle supervision pour les décisions automatisées de la justice ou de la santé ? Et surtout : qui contrôle les données ?