Le patrimoine immatériel d’Asie centrale s’enrichit une nouvelle fois, tandis que plusieurs traditions vivantes du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan rejoignent la prestigieuse liste du patrimoine immatériel de l’humanité. Cette reconnaissance confirme la vitalité des pratiques culturelles régionales, qui continuent d’évoluer malgré les pressions contemporaines.
Le sumanak, une tradition culinaire devenue symbole régional
Le 10 décembre 2025, lors de la vingtième session du Comité intergouvernemental de l’UNESCO à New Delhi, plusieurs dossiers venus d’Asie centrale ont été inscrits au patrimoine immatériel, consolidant encore leur rayonnement international. Cet événement marque une étape importante pour la préservation du patrimoine immatériel, puisque les pratiques reconnues témoignent de la richesse des savoir-faire transmis depuis des siècles en Ouzbékistan comme au Tadjikistan.
La première pratique désormais inscrite au patrimoine immatériel est la préparation du sumanak, un plat printanier qui occupe une place centrale dans le calendrier des communautés du Tadjikistan et de territoires voisins. Cette inscription met en lumière un rituel profondément collectif. Il s’agit d’une cuisson participative « qui peut durer plus de douze heures », un chiffre qui souligne l’ampleur de l’effort communautaire. Ce temps long permet de mobiliser familles, voisins et amis autour d’un chaudron unique, symbole d’unité et de renouveau.
Afin d’être reconnue, la candidature avait été déposée en 2023 par les autorités culturelles nationales. Ce processus témoigne d’un travail de fond, mené pour faire valoir l’importance symbolique et identitaire du sumanak. La pratique reste intimement liée aux célébrations du printemps, et notamment au renouveau associé à cette période, ce qui renforce son importance au sein du patrimoine immatériel.
La portée culturelle d’un rite centré sur la transmission
Le caractère intergénérationnel de la préparation du sumanak contribue largement à son inscription. En effet, le plat n’est pas seulement une préparation culinaire : il constitue une forme de pédagogie vivante. Les aînés enseignent aux plus jeunes non seulement les techniques, mais aussi les chants, récits et musiques qui accompagnent la cuisson. Cette dimension immatérielle est cruciale, car elle préserve une manière de percevoir le monde, transmise grâce au contact direct entre générations.
La décision prise par l’UNESCO à New Delhi renforce la place du Tadjikistan dans les dynamiques de préservation régionales. L’événement, qui s’est déroulé en présence de représentants de nombreux pays, illustre la nécessité de protéger les pratiques menacées par l’urbanisation, les migrations et les transformations sociales. La tradition du sumanak, bien qu’enracinée, n’échappe pas à ces risques. Pour cette raison, son intégration à la liste du patrimoine immatériel contribue à assurer sa transmission future, tout en valorisant la diversité culturelle de l’Asie centrale.
Le kobyz karakalpak, un art menacé qui retrouve une visibilité internationale
La seconde inscription concerne l’art de fabriquer et de jouer du kobyz — un instrument ancien dont l’histoire remonte aux épopées nomades. D’après le dossier déposé, l’art du kobyz est aujourd’hui menacé. Afisha.uz rappelle qu’il s’agit d’un élément nécessitant « une sauvegarde urgente », en raison du faible nombre de maîtres capables de fabriquer l’instrument ou d’en jouer dans le style traditionnel. Ce risque est aggravé par le manque d’intérêt des plus jeunes générations, attirées par d’autres formes musicales. L’inscription sur la liste du patrimoine immatériel apparaît donc comme un outil de pérennisation, de documentation et de revitalisation de cet art.
Une pratique enracinée dans le Karakalpakstan et portée par les conteurs-musiciens
Le kobyz karakalpak possède une spécificité : il accompagne les performances des « jyrau », des conteurs-musiciens qui transmettent des récits épiques à travers la parole et la musique. Cette dimension narrative est au cœur de l’identité culturelle du Karakalpakstan, une région autonome de l’actuel Ouzbékistan. L’inscription du kobyz contribue ainsi à renforcer la reconnaissance d’une identité régionale souvent méconnue hors des frontières nationales.
Cette décision porte le nombre total d’éléments ouzbeks inscrits au patrimoine immatériel à seize. Ce chiffre illustre l’effort continu du pays pour faire reconnaître ses traditions vivantes. Il met aussi en évidence l’importance stratégique de ces inscriptions dans la diplomatie culturelle de l’Ouzbékistan. L’UNESCO, de son côté, a estimé que la pratique nécessitait une attention immédiate, confirmant la pertinence de l’inscription au moment même où les savoir-faire risquent de disparaître.
Une troisième reconnaissance : la yourte comme patrimoine immatériel partagé
Au-delà du sumanak et du kobyz, une autre inscription significative concerne la yourte — l’habitat traditionnel des populations nomades d’Asie centrale. La yourte karakalpake a rejoint la liste du patrimoine immatériel, attestant la profondeur culturelle de ce savoir-faire. Même si la yourte est parfois perçue comme un simple objet matériel, sa fabrication est, elle, pleinement immatérielle : elle mobilise un ensemble de gestes, de transmissions et de connaissances accumulées au fil des générations.
La structure de la yourte repose sur des techniques élaborées, transmises par des artisans capables d’associer bois, feutre et corde dans un équilibre subtil. Ces techniques évoluent selon les régions, ce qui explique l’importance de l’inscription spécifique du savoir-faire karakalpak. Le patrimoine immatériel ainsi reconnu englobe à la fois la fabrication, l’assemblage, le rituel de montage et la symbolique associée à cet habitat.
Un savoir-faire identitaire au cœur de l’habitat nomade et un symbole de continuité culturelle pour l’Ouzbékistan
La reconnaissance de la yourte renforce la cohérence des inscriptions précédentes : elle met en lumière un continuum culturel où habitat, musique et pratiques du quotidien se rejoignent. L’Ouzbékistan, en présentant cette candidature, entend également affirmer la richesse culturelle du Karakalpakstan, souvent marginalisé dans les représentations du pays.
L’inscription de la yourte permet en outre de renforcer la continuité du patrimoine immatériel oasien et nomade. Elle rappelle que l’Asie centrale n’est pas uniquement un ensemble d’États modernes, mais aussi un espace de traditions anciennes où se sont construits des modes de vie originaux. Malgré les bouleversements contemporains, la yourte incarne encore aujourd’hui un art de vivre, une mémoire technique et une capacité d’adaptation significative.
