La pénurie d’eau menace la croissance en Asie centrale, met en garde la Banque mondiale
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La pénurie d’eau s’impose désormais comme l’un des principaux freins au développement de l’Asie centrale. Dans un rapport, la Banque mondiale alerte sur une combinaison explosive entre hausse rapide de la demande, infrastructures vieillissantes et effets du changement climatique, qui menace la croissance, la productivité agricole et la stabilité économique régionale.

La Banque mondiale alerte sur une chute historique de la ressource en eau en Asie centrale

Dans un récent rapport, la Banque mondiale dépeint une trajectoire hydrique préoccupante pour l’Asie centrale. La raréfaction de la ressource en eau, aggravée par la pression démographique, l’inefficacité des réseaux et l’augmentation des besoins agricoles et industriels, pourrait devenir l’un des principaux goulets d’étranglement de la croissance régionale dans les prochaines décennies.

Selon les données compilées par la Banque mondiale, la disponibilité d’eau renouvelable par habitant en Asie centrale a connu une chute spectaculaire en un demi-siècle. Elle est passée d’environ 8,4 milliers de mètres cubes par personne et par an dans les années 1960 à 2,5 milliers de mètres cubes aujourd’hui, d’après une brochure officielle publiée par l’institution en 2024. Autrement dit, chaque habitant dispose désormais de plus de trois fois moins d’eau qu’il y a soixante ans. Cette contraction progressive s’explique à la fois par la croissance démographique, par l’intensification agricole et par les effets du réchauffement climatique sur les ressources glaciaires.

Plus inquiétant encore, la Banque mondiale projette que, si les tendances actuelles se maintiennent, la disponibilité d’eau par habitant pourrait tomber sous le seuil critique de 1,7 milliers de mètres cubes par an d’ici 2030, un niveau généralement considéré comme le marqueur d’un stress hydrique sévère. Ce basculement ferait entrer plusieurs pays d’Asie centrale dans une zone de tension permanente sur l’approvisionnement, affectant non seulement les usages domestiques, mais aussi la productivité agricole, la sécurité alimentaire et certaines activités industrielles stratégiques.

Demande en eau et infrastructures : un déséquilibre croissant

À cette raréfaction de l’eau s’ajoute une explosion annoncée de la demande. La Banque mondiale estime que les besoins en eau dans l’ensemble de la région Europe-Asie centrale pourraient augmenter de 51% d’ici 2050, sous l’effet combiné du développement économique, de l’urbanisation et de l’augmentation de la population. Ce choc de la demande intervient alors même que les systèmes d’approvisionnement sont déjà sous forte tension, ce qui accentue mécaniquement le risque de pénurie durable.

Le problème est aggravé par l’état très dégradé des infrastructures hydrauliques. En moyenne, les réseaux d’adduction d’eau de la région perdent environ 44% de l’eau transportée en raison de canalisations vétustes, de fuites structurelles et d’une maintenance insuffisante, rappelle la Banque mondiale. Ce taux de perte, exceptionnellement élevé, signifie qu’une part considérable de l’eau mobilisée ne parvient jamais jusqu’aux usagers. Dans les zones rurales comme dans les grandes villes d’Asie centrale, cette inefficacité alourdit la facture énergétique, accentue le gaspillage et réduit encore la disponibilité réelle de la ressource.

L’agriculture, le cœur de la pression hydrique en Asie centrale

L’agriculture demeure de très loin le principal consommateur d’eau en Asie centrale. D’après la Banque mondiale, l’irrigation représente la majorité des prélèvements hydriques dans la région. Or, l’essentiel de ces systèmes d’irrigation repose encore sur des infrastructures héritées de l’ère soviétique, souvent mal entretenues, peu modernisées et extrêmement gourmandes en eau. Le programme régional CAWEP, piloté par la Banque mondiale, souligne ainsi que l’inefficacité des réseaux d’irrigation constitue l’une des causes majeures du gaspillage et de la pénurie.

Cette situation met en danger à la fois la productivité agricole et la sécurité alimentaire régionale. À mesure que les volumes d’eau disponibles diminuent, les rendements agricoles deviennent plus volatils, exposés aux sécheresses, et donc plus vulnérables aux chocs climatiques. La Banque mondiale avertit par conséquent que la pénurie d’eau pourrait devenir un facteur direct de ralentissement de la croissance économique en Asie centrale, dans une région où l’agriculture continue de peser lourdement dans l’emploi et les exportations.

Pénurie d’eau et stabilité économique : un enjeu stratégique

La Banque mondiale lie désormais explicitement la question de l’eau à celle de la stabilité macroéconomique et du développement. « La sécurité de l’eau est une condition préalable au développement en Europe et en Asie centrale », a ainsi déclaré Sameh Wahba, directeur régional pour le développement durable au sein de la Banque mondiale. Cette déclaration illustre un changement de paradigme : l’eau n’est plus seulement un enjeu environnemental, mais un pilier central de la croissance, de l’emploi et de la cohésion sociale.

Dans le cas spécifique de l’Asie centrale, l’eau est aussi un enjeu géopolitique régional. Les grands fleuves transfrontaliers, comme l’Amou-Daria et le Syr-Daria, traversent plusieurs États, ce qui rend la gestion des ressources profondément interdépendante. La Banque mondiale insiste donc sur la nécessité d’une coordination régionale renforcée pour éviter des conflits d’usage, notamment entre pays en amont et pays en aval.

La Banque mondiale plaide pour une modernisation des infrastructures hydrauliques

Face à ce diagnostic alarmant, la Banque mondiale avance une feuille de route précise. Elle recommande en priorité la modernisation massive des infrastructures hydrauliques, tant pour l’eau potable que pour l’irrigation. La réduction des pertes techniques, qui représentent aujourd’hui près de la moitié de l’eau transportée, constitue selon l’institution l’un des leviers les plus rapides et les plus rentables pour augmenter artificiellement l’offre disponible sans nouveaux prélèvements.

La Banque mondiale met également en avant la modernisation des pratiques agricoles, avec le développement de techniques d’irrigation plus économes, une meilleure tarification de l’eau et une incitation économique à la réduction des gaspillages. L’objectif est de découpler progressivement la croissance agricole de la consommation excessive d’eau, afin d’améliorer simultanément la productivité et la durabilité du modèle agricole régional.

Enfin, l’institution plaide pour une réforme de la gouvernance de l’eau, incluant une meilleure planification, une transparence accrue dans la gestion des infrastructures, et un renforcement des coopérations transfrontalières. Dans l’approche défendue par la Banque mondiale, seule une action simultanée sur les infrastructures, les usages et la gouvernance permettra d’éviter que la pénurie d’eau ne devienne l’un des principaux freins structurels à la croissance de l’Asie centrale dans les décennies à venir.

Par Rodion Zolkin
Le 12/10/2025

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