La récente rencontre entre une délégation tadjike et les Talibans marque une inflexion majeure dans la stratégie du Tadjikistan face aux Talibans. Longtemps hostile au nouveau pouvoir afghan, le régime tadjik semble désormais explorer une voie de dialogue prudente, dictée par les impératifs sécuritaires, économiques et géopolitiques de l’Asie centrale.
Les Talibans, l’Afghanistan et la visite d’une délégation tadjike aux enjeux sécuritaires
Mi-novembre 2025, une délégation officielle tadjike s’est rendue à Kaboul pour s’entretenir directement avec les Talibans, une première de cette ampleur depuis leur retour au pouvoir en août 2021. Cette visite intervient après plus de quatre années de relations rompues entre l’Afghanistan et le Tadjikistan, dans un contexte régional profondément bouleversé par les dynamiques sécuritaires transfrontalières.
La composition de la délégation envoyée par Douchanbé donne immédiatement la mesure de l’enjeu. Quatorze hauts responsables tadjiks, issus des services de sécurité, du renseignement et du ministère des Affaires étrangères, ont fait le déplacement à Kaboul le 16 novembre 2025. Dès lors, au-delà du symbole politique, les Talibans se sont retrouvés face à une équipe structurée autour des questions stratégiques. Ainsi, les discussions ont porté sur les relations bilatérales, mais aussi sur l’amélioration des flux commerciaux. En parallèle, les autorités talibanes ont confirmé ces échanges, évoquant explicitement le renforcement des liens diplomatiques et économiques entre l’Afghanistan et le Tadjikistan.
D’après les informations de la chaîne afghane Amu TV, la délégation tadjike ne s’est pas limitée à une seule rencontre. Elle a également échangé avec le Premier ministre des Talibans, Mohammad Hassan Akhund, ainsi qu’avec le chef du renseignement taliban, Abdulhaq Wasiq, le 18 novembre 2025. Par conséquent, la dimension sécuritaire s’est imposée au cœur des discussions. Les Talibans ont abordé la sécurisation de la frontière afghano-tadjike, la lutte contre les trafics de stupéfiants et les menaces terroristes, ainsi que la stabilisation de la région du Badakhchan, voisine immédiate du territoire tadjik. Dans ce cadre, la délégation a insisté sur la nécessité d’un mécanisme de coopération transfrontalière durable.
Le Tadjikistan acte une fin progressive de sa rupture diplomatique avec les Talibans
Depuis août 2021, le Tadjikistan figurait parmi les États les plus critiques à l’égard des Talibans. Fidèle à une ligne dure, Douchanbé avait refusé toute reconnaissance du nouveau régime afghan, fermant de facto ses canaux politiques officiels. Cependant, la visite de cette délégation constitue une rupture progressive avec cette posture. Il s’agit en effet de la première mission tadjike de ce niveau à Kaboul depuis le retour des Talibans au pouvoir. Dès lors, la signification politique dépasse largement le cadre diplomatique classique. Les Talibans ont d’ailleurs rappelé, lors des échanges, leur volonté d’obtenir un jour la reconnaissance internationale, y compris de la part du Tadjikistan.
Dans cette dynamique, un nouvel épisode diplomatique est venu consolider l’ouverture. Le 2 décembre 2025, le ministre afghan des Affaires étrangères et son homologue tadjik, Sirojiddin Muhriddin, ont eu un entretien téléphonique officiel, selon le ministère afghan des Affaires étrangères. Les échanges ont porté sur la coopération politique, la sécurité régionale et la gestion de la frontière commune. Ainsi, les Talibans ont cherché à inscrire cette relance du dialogue dans la durée. Ce basculement progressif s’explique également par l’évolution de l’environnement régional, puisque plusieurs États d’Asie centrale ont, eux aussi, entamé un rapprochement pragmatique avec Kaboul.
Relations Afghanistan–Tadjikistan : un réajustement stratégique face aux Talibans
L’analyse de fond dépasse largement la simple visite diplomatique. Ce déplacement d’une délégation tadjike signe un véritable réajustement stratégique du Tadjikistan face aux Talibans. En effet, Douchanbé se trouve désormais confrontée à une réalité géopolitique durable : les Talibans contrôlent l’ensemble de l’Afghanistan, sans alternative crédible à court terme. Dans ce contexte, l’isolement n’apparaît plus comme une option efficace. Ainsi, la coopération sécuritaire devient un impératif, compte tenu des risques liés aux groupes armés transnationaux et aux trafics.
Mais l’économie joue également un rôle moteur. Durant cette visite, les deux parties ont évoqué le développement des échanges commerciaux et de projets communs. Or, l’Afghanistan représente un corridor stratégique potentiel pour les exportations d’électricité, de matières premières et de biens manufacturés tadjiks vers l’Asie du Sud. Dès lors, le dialogue avec les Talibans répond aussi à un calcul économique. Pour autant, cette évolution reste fragile. Le Tadjikistan continue de poser des lignes rouges politiques, notamment sur la question des minorités tadjikes en Afghanistan et sur l’inclusivité du pouvoir taliban, même si ces sujets restent peu évoqués publiquement.
