Le Japon prépare son premier sommet historique avec l’Asie centrale
Le Japon prépare son premier sommet historique avec l’Asie centrale

Le Japon s’apprête à franchir une étape diplomatique majeure en accueillant, pour la première fois, un sommet réunissant les chefs d’État des cinq pays d’Asie centrale. Derrière ce rendez-vous inédit, Tokyo cherche à consolider son influence face aux grandes puissances régionales, tout en renforçant ses partenariats économiques, énergétiques et stratégiques dans une zone devenue cruciale pour les équilibres eurasiatiques.

Le Japon annonce un sommet inédit avec l’Asie centrale

Le Japon se prépare à accueillir, à Tokyo, le premier sommet réunissant les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan. Cette rencontre est programmée pour la mi-décembre 2025. La tenue de ce sommet constitue un tournant majeur, puisque le Japon n’avait jusque-là jamais organisé de réunion de ce niveau avec l’ensemble des pays de la région.

Depuis 2004, les relations entre le Japon et l’Asie centrale reposaient sur le format dit « Central Asia + Japan », limité à des échanges ministériels. En décembre 2025, il s’agira de la première réunion au niveau des chefs d’État depuis la création de ce dialogue diplomatique il y a plus de vingt ans. Ce changement de format traduit un clair changement d’ambition du Japon, qui souhaite désormais inscrire ses relations avec l’Asie centrale dans une perspective politique de long terme, bien au-delà du simple cadre technique ou sectoriel.

Ce projet de sommet n’est toutefois pas totalement nouveau. Une première tentative avait été envisagée en août 2024 au Kazakhstan, à l’occasion du vingtième anniversaire du dialogue « Central Asia + Japan ». Mais cette rencontre avait été annulée à la dernière minute, en raison d’une alerte sismique majeure au Japon. Le retour du projet à l’agenda diplomatique japonais confirme donc sa priorité stratégique, cette fois avec Tokyo comme ville hôte.

Le Japon et l’Asie centrale : un partenariat en pleine mutation

Depuis plusieurs années, le Japon multiplie les initiatives pour renforcer son ancrage économique en Asie centrale. Cette montée en puissance s’est notamment traduite par l’organisation de dialogues sectoriels approfondis. Le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie a ainsi tenu, en septembre 2025, la deuxième édition du « Dialogue économique et énergétique Central Asia + Japan ». À cette occasion, les autorités japonaises ont présenté une feuille de route ambitieuse vers la neutralité carbone pour les pays de la région.

Cette orientation environnementale s’inscrit dans une stratégie plus large du Japon visant à élargir la coopération avec l’Asie centrale bien au-delà des seules questions énergétiques. Le sommet de décembre 2025 doit également viser le développement des infrastructures, la décarbonation et la modernisation logistique. L’objectif affiché est d’élargir la coopération « aux infrastructures, à la connectivité et à la transition énergétique dans une logique de partenariat structurel durable.

Sur le plan économique, bien que les échanges restent modestes à l’échelle mondiale, les relations bilatérales entre le Japon et certains pays d’Asie centrale se consolident progressivement. Pour l’Ouzbékistan, le volume du commerce avec le Japon est estimé à 326,8 millions de dollars en 2025, contre 336,3 millions de dollars l’année précédente. Converti en euros, cela représente environ 304 millions d’euros en 2025 contre 313 millions d’euros en 2024. Ces chiffres témoignent d’un léger recul conjoncturel, mais aussi d’une base d’échanges déjà significative pour une relation encore en développement.

Au-delà des flux commerciaux, le Japon finance également des projets sectoriels concrets. Tokyo prévoit par exemple de fournir à l’Ouzbékistan des équipements de dépistage par mammographie, illustrant une coopération qui s’étend désormais au domaine de la santé. Ce type d’initiative renforce l’image du Japon comme partenaire technologique et sanitaire de long terme.

Le Japon prépare son premier sommet historique avec l’Asie centrale

© Pixabay

Le Japon face aux équilibres géopolitiques en Asie centrale

Derrière ce sommet, le Japon poursuit aussi un objectif clairement géopolitique. L’Asie centrale est aujourd’hui un espace stratégique où s’affrontent plusieurs influences majeures, notamment celles de la Chine et de la Russie. En renforçant sa présence diplomatique, le Japon cherche à diversifier ses partenariats et à sécuriser ses approvisionnements en matières premières, dans un contexte de tensions géoéconomiques croissantes. En un mot, ce sommet doit servir à renforcer la sécurité économique du Japon, en limitant sa dépendance excessive envers un nombre restreint de partenaires régionaux.

Mais ce rapprochement vise aussi à donner au Japon un levier supplémentaire d’influence dans une région clé pour les routes commerciales eurasiatiques. Le Japon entend notamment soutenir le développement de corridors de transport reliant l’Asie centrale à l’Europe, en passant par le Caucase ou la Caspienne, afin de diversifier les voies d’acheminement des marchandises et de sécuriser les chaînes logistiques.

Dans ce contexte, les objectifs japonais ne se limitent ni à l’énergie ni aux infrastructures. Le sommet pourrait aussi élargir la coopération aux domaines de l’éducation, de la formation et des technologies. Des discussions seraient possibles sur les investissements japonais dans les énergies renouvelables, un secteur jugé stratégique par Tokyo dans sa quête de neutralité carbone et dans sa politique d’exportation de technologies propres.

Enfin, la dimension politique du sommet est centrale. En réunissant pour la première fois les cinq chefs d’État d’Asie centrale autour du Japon, Tokyo cherche à se positionner comme un acteur d’équilibre, capable de dialoguer avec l’ensemble des puissances régionales sans s’aligner sur une logique de blocs. Dans un espace longtemps considéré comme une zone d’influence quasi exclusive de Moscou, puis de Pékin, la montée en puissance du Japon constitue un changement notable des équilibres diplomatiques.

Le Japon, catalyseur d’un nouveau cycle diplomatique régional

Pour les pays d’Asie centrale, ce sommet représente également une opportunité politique majeure. Il leur permet de diversifier leurs partenaires stratégiques, d’attirer de nouveaux investissements et de réduire leur dépendance à l’égard des grandes puissances voisines. En se posant comme un partenaire technologique, financier et politique crédible, le Japon devient un acteur attractif pour des États soucieux de préserver leur autonomie diplomatique.

Le format du sommet ouvre également la voie à une institutionnalisation plus poussée du dialogue Central Asia + Japan. Jusqu’à présent limité à des réunions ministérielles, ce cadre pourrait désormais s’appuyer sur des rencontres régulières au plus haut niveau. La tenue d’un premier sommet à Tokyo pourrait ainsi créer un précédent diplomatique durable, susceptible de déboucher sur des mécanismes de coordination politique permanents.

Sur le plan économique, le Japon dispose d’atouts majeurs : puissance technologique, capacités financières, savoir-faire industriel et crédibilité institutionnelle. En retour, l’Asie centrale offre au Japon l’accès à des ressources stratégiques, à des marchés émergents et à des corridors commerciaux de plus en plus essentiels dans l’architecture économique eurasiatique. Cette complémentarité explique l’accélération actuelle du rapprochement.

Enfin, ce sommet intervient dans un contexte international marqué par une fragmentation croissante des alliances. Confronté à la montée des tensions en Indo-Pacifique, le Japon cherche à étendre son réseau de partenariats au-delà de son voisinage immédiat. En s’engageant plus fortement en Asie centrale, Tokyo affirme sa volonté de jouer un rôle global, bien au-delà de l’Asie orientale.

Par Rodion Zolkin
Le 12/03/2025

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