Au cours de l’année 2025, le Kazakhstan s’apprête à modifier sa réglementation bancaire pour permettre aux banques conventionnelles d’offrir des services de finance islamique via des « guichets islamiques ». Cette réforme marque une étape majeure dans l’essor du secteur islamique dans un marché jusque-là très restreint par la nécessité de créer une banque spécialisée.
La finance islamique reçoit un sérieux coup de pouce
La nouveauté réside d’abord dans la rupture avec le modèle exclusif des banques islamique. Jusqu’à présent, seuls deux établissements – Abu Dhabi Commercial Bank (filiale étrangère) et le Zaman Bank local – pouvaient légalement offrir des produits conformes à la charia. Leur part cumulée dans les actifs du système bancaire était inférieure à 0,5%. Le modèle proposé — les « guichets islamiques » — permet aux banques existantes de déployer une ligne de produits islamiques sans créer une nouvelle entité. Cela réduit les coûts d’entrée, accélère la commercialisation et élargit l’accès potentiel à la finance islamique. En d’autres mots, la finance islamique cesse d’être un segment de niche isolé pour devenir une composante possible de l’offre bancaire classique.
Ce pas en avant est d’autant plus significatif que le projet législatif impose des garde-fous : les opérations islamiques seront organisées de façon autonome au sein de la banque — avec comptabilité séparée, personnel qualifié et conformité à la charia — mais tout cela sous la même licence bancaire. Ainsi, cette réforme ouvre la perspective d’une coexistence structurée entre finance conventionnelle et finance islamique dans un même établissement, ce qui est une innovation institutionnelle dans le contexte kazakhstanais.
« Guichets islamiques » : séparation opérationnelle et transparence au programme
Dans le système proposé, chaque « guichet islamique » fonctionnera comme une division autonome d’une banque universelle, avec ses propres actifs et passifs. Il ne partagera les coûts communs qu’à condition de distinction claire et traçable. Les normes prudentielles s’appliqueront de manière adaptée : les banques devront assurer capitaux, liquidités et transparence équivalents à ceux d’une banque islamique. La conformité à la charia sera assurée via un conseil interne dédié, chargé d’approuver les produits islamiques et de conduire les audits nécessaires.
Contrairement au système conventionnel centré sur les prêts à intérêt, les produits proposés dans les guichets islamiques reposeront sur des mécanismes conformes comme la mudaraba, la murabaha, la musharaka, ou encore l’ijara et autres contrats du droit islamique. Par exemple, pour l’acquisition d’un bien, la banque peut l’acheter puis le revendre au client avec une marge (murabaha) sans intérêt. Ou bien elle peut co-investir (musharaka) et partager bénéfices et risques. Ce modèle incite aussi à une relation symbiotique entre le client et la banque, par opposition à une simple relation débiteur-créancier.
En comparaison, dans le cadre actuel, toute activité de finance islamique est confinée à ces deux banques spécialisées, sans lien avec les grandes banques universelles ni possibilités d’intégration progressive dans le système principal.
Permettre des guichets islamiques va stimuler la concurrence dans le secteur bancaire. Les banques universelles pourront diversifier leurs gammes et conquérir des clientèles musulmanes qui avaient peu d’options locales fiables. Cela pourrait aussi élargir l’accès aux services financiers pour les entreprises et les particuliers cherchant des solutions conformes à l’islam.
Risques de mise en œuvre et besoin de compétences spécialisées
Mais ce changement ne va pas sans défis. Les banques devront investir massivement dans la formation de personnels maîtrisant à la fois les principes financiers modernes et la jurisprudence islamique (fiqh). Le projet prévoit d’ailleurs des exigences minimales de qualification pour les dirigeants et les membres des comités islamiques. Un autre risque est celui du non-respect (non-compliance) : si un guichet islamique dévie des principes de la charia, cela pourrait nuire à la réputation de la banque toute entière.
La finance islamique en Asie centrale en est encore à ses débuts. En 2024, la région comptait 18 banques islamiques et 14 institutions non bancaires spécialisées dans ce domaine. Le Kazakhstan vise une part de marché de 3 à 5% pour la finance islamique d’ici 2025. Une étude anticipe que les actifs de la finance islamique dans la région pourraient atteindre 2,5 milliards de dollars en 2028, puis 6,3 milliards USD en 2033. Pour les banques kazakhstanaises, c’est donc une occasion de se positionner tôt dans un secteur à fort potentiel, à condition d’exécuter correctement les réformes.
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