Entre critiques populistes et réalités économiques : le Kazakhstan face à la question des investissements étrangers
subventions

Un discours qui alimente les tensions

Le 29 juillet 2025, à la tribune du parlement du Kazakhstan, Zhaki Abenov, député kazakhstanais connu pour ses prises de position souverainistes, a déclenché une nouvelle polémique en s’attaquant aux aides publiques accordées aux entreprises étrangères opérant sur le sol national. « Pourquoi une entreprise kazakhstanaise devrait-elle tout payer, tandis qu’un investisseur étranger reçoit des cadeaux ? », a-t-il lancé sous les applaudissements d’une partie de l’assemblée. Selon lui, l’État offrirait des subventions, des exonérations fiscales et un environnement réglementaire préférentiel à des firmes multinationales, au détriment du contribuable kazakhstanais et des petites entreprises locales.

Poursuivant son intervention, Murat Abenov a directement ciblé plusieurs géants internationaux. « Des entreprises comme General Electric, Huawei, ou encore TikTok reçoivent tout ce qu’elles veulent : terrains, allègements d’impôts, infrastructures… Et que reste-t-il pour nos entrepreneurs ? Des obstacles administratifs et des contrôles fiscaux », a-t-il affirmé, appelant à un moratoire immédiat sur les avantages accordés aux investisseurs étrangers. Ce discours s’inscrit dans une série de critiques récurrentes sur la « dépendance excessive » du Kazakhstan aux capitaux internationaux.

Le Kazakhstan : une stratégie assumée d’ouverture aux investissements étrangers

Ces accusations, si elles reflètent un mécontentement croissant dans certains cercles politiques, ne traduisent qu’une partie de la réalité. Depuis plusieurs années, le Kazakhstan mène une politique d’ouverture économique structurée, fondée sur l’attraction ciblée des investissements directs étrangers (IDE). Loin d’un système d’aides aveugles, les incitations mises en place sont le fruit de négociations bilatérales encadrées par des objectifs précis : création d’emplois locaux, transfert de compétences, développement d’infrastructures ou soutien à la diversification industrielle. En octobre 2024, le gouvernement a entériné un nouveau cadre stratégique intitulé Concept of Investment Policy 2024–2029. Ce document, soutenu par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), définit les conditions d’éligibilité à ces dispositifs incitatifs. Les avantages fiscaux ne sont désormais accordés qu’aux projets répondant à des critères stricts : secteurs prioritaires (transition énergétique, agriculture, logistique), engagements sociaux ou environnementaux, et impact structurant à long terme. L’un des piliers de cette réforme repose sur la création d’une plateforme numérique nationale visant à centraliser toutes les démarches administratives, ainsi qu’un registre unique des différends d’investisseurs, chargé de garantir la sécurité juridique des opérateurs tout en renforçant la transparence du système.

Des données économiques qui nuancent les critiques

Du point de vue macroéconomique, les chiffres récents montrent que les IDE restent un levier central pour l’économie kazakhstanaise. D’après le rapport Kazakhstan Monthly Economic Update – May 2024 publié par la Banque mondiale, les flux nets d’investissements directs étrangers ont atteint 2,8 milliards de dollars au premier trimestre 2024, malgré une baisse de 14,1 % par rapport à la même période de l’année précédente. Ce repli, qualifié de « conjoncturel » par les analystes, s’explique par le ralentissement global des investissements dans les pays émergents, lié aux incertitudes géopolitiques et à la volatilité des marchés de matières premières.

Pour autant, la balance commerciale du pays reste solide, avec un excédent de 5,7 milliards de dollars au premier trimestre 2024, principalement tiré par la baisse des importations. Le compte courant, historiquement déficitaire, s’est amélioré grâce à une réduction du rapatriement des bénéfices des investisseurs étrangers. Le gouvernement kazakhstanais s’est d’ailleurs fixé un cap ambitieux : attirer 150 milliards de dollars d’IDE cumulés d’ici 2029, soit environ 30 milliards par an.

Cette projection s’appuie sur le maintien d’un environnement favorable aux affaires, la modernisation des zones économiques spéciales, et un soutien renforcé aux projets industriels à forte valeur ajoutée.

Une convergence encore incomplète avec les acteurs locaux

Le fond du discours de Murat Abenov soulève néanmoins une problématique réelle : celle du déséquilibre perçu entre le traitement des investisseurs internationaux et celui des petites et moyennes entreprises kazakhes. « Nos entrepreneurs n’ont pas accès aux mêmes leviers de financement, ils doivent faire face à des contrôles tatillons, pendant que d’autres sont accueillis avec des tapis rouges », a-t-il dénoncé. Ce ressentiment est le reflet d’une convergence encore incomplète entre politiques d’ouverture et développement interne.

Le gouvernement a toutefois entamé des réformes dans ce sens, en étendant certains programmes de soutien aux entreprises nationales, notamment dans les régions rurales et dans les filières agricoles. La Banque de développement du Kazakhstan a également élargi son dispositif de prêts à taux préférentiels à plusieurs PME locales dans les domaines de la transformation et de la logistique.

Le Kazakhstan se trouve aujourd’hui à un point d’inflexion. D’un côté, l’intégration aux chaînes de valeur mondiales nécessite un maintien de l’attractivité vis-à-vis des capitaux étrangers. De l’autre, la montée d’un discours politique protectionniste pousse à reconsidérer certaines pratiques. L’enjeu n’est pas de fermer la porte aux IDE, mais de construire un modèle plus équilibré, capable d’articuler ouverture internationale et consolidation du tissu entrepreneurial local. À l’heure où de nombreuses économies émergentes peinent à capter des flux de capitaux stables, le Kazakhstan fait figure d’exception régionale. Les investissements étrangers ne sont pas une dépendance, mais un moteur. Ce moteur, pour continuer à fonctionner, devra être ajusté, mais certainement pas abandonné. 

Par Païsiy Ukhanov
Le 07/30/2025

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