Chemins de fer : le Tadjikistan branche (enfin) la prise

Le ministre des Transports du Tadjikistan, Azim Ibrokhim, l’a annoncé avec une assurance calculée : le pays a officiellement lancé les travaux préparatoires à l’électrification de la ligne ferroviaire reliant Vahdat à Pakhtaobod. Un tronçon de 62 kilomètres, modeste sur le papier, mais au potentiel hautement symbolique pour un réseau ferroviaire jusque-là figé dans une ère thermique. Le mot d’ordre ? Moderniser. Le chantier ? Pharaonique, à l’échelle d’un État enclavé aux infrastructures brinquebalantes.

Un réseau ferroviaire au ralenti : le lourd héritage soviétique

Impossible d’aborder le sujet sans rappeler une réalité brute : en 2025, aucun kilomètre de voie ferrée au Tadjikistan n’est électrifié. Le réseau compte à peine 980 kilomètres, selon les chiffres officiels, dont une part significative reste à voie unique. Ce chiffre inclut aussi bien les segments techniques que les voies d’accès. L’ensemble fonctionne encore au diesel, avec un parc roulant que l’on qualifierait pudiquement de « rustique » : locomotives soviétiques d’un autre âge, gares vétustes, signalisation partiellement manuelle.

Un autre écueil majeur ? La discontinuité géographique. Le pays possède deux réseaux séparés, l’un au nord autour de Khujand, l’autre au sud entre Douchanbé, Bokhtar et la frontière afghane. Aucun lien ferroviaire intérieur ne relie ces deux entités. Le fret comme les passagers doivent passer… par l’Ouzbékistan. Résultat : les trains circulent lentement, très lentement, avec une vitesse commerciale autour de 35 km/h.

Et pourtant, miracle économique ou paradoxe logistique, près de 70% du fret international transitait par le rail durant le premier semestre 2025, d’après les chiffres du ministère. Une performance qui frôle l’absurde, compte tenu du niveau d’obsolescence de l’infrastructure.

Un projet pilote : la ligne Vahdat–Pakhtaobod sur les rails

C’est donc sur ce terrain miné que s’avance le projet d’électrification. Le 23 juillet 2025, en conférence de presse à Douchanbé, le ministre Azim Ibrokhim a annoncé que « la direction de l’entreprise publique Rohi Ohani Tojikiston mène actuellement les travaux préparatoires pour électrifier la ligne Vahdat–Pakhtaobod ». Ce tracé de 62 km relie Vahdat, une ville située à 20 km à l’est de la capitale, au poste frontalier de Pakhtaobod, en passant par 15 arrêts intermédiaires. C’est une ligne de banlieue, très utilisée, qui assure la jonction avec les réseaux ouzbeks. Sa modernisation devrait réduire les coûts de transport, améliorer la régularité et permettre une exploitation plus économe en carburant, selon les autorités.

Reste une inconnue de taille : qui financera cette électrification ? À ce jour, aucun détail sur les partenaires, le calendrier ou le montage financier n’a été rendu public.
Bekabad–Konibodom : un vieux rêve sous haute tension

En parallèle, le ministère regarde plus loin. Bien plus loin. Un second projet figure à l’agenda : l’électrification du tronçon transfrontalier entre Konibodom (Tadjikistan) et Bekabad (Ouzbékistan), en passant par Kokand. Une ligne de 204 kilomètres dont la réactivation a été plusieurs fois évoquée depuis 2021, notamment dans le cadre d’un accord commun sur la construction d’une ligne électrique à haute tension longeant la voie ferrée.

Ce corridor est loin d’être nouveau : déjà à l’époque soviétique, on projetait d’électrifier cette ligne en trois étapes. Mais à ce jour, aucun accord formel n’a été signé, même si des équipes tadjikes et ouzbèkes ont effectué des repérages sur le terrain. De là à penser que l’on ressort un projet du placard pour masquer le manque d’alternatives ?

Une stratégie régionale derrière les caténaires

Derrière la modernisation affichée, c’est en réalité l’obsession d’un corridor ferroviaire régional qui guide les ambitions tadjikes. Depuis début juillet, Douchanbé a officiellement exprimé son souhait de rejoindre le projet Chine–Kirghizstan–Ouzbékistan (CKU). Un axe stratégique qui vise à connecter le Xinjiang chinois à la vallée de Ferghana et, par extension, à l’Europe via le Kazakhstan ou le Turkménistan.

Problème : pour devenir un acteur sérieux dans ce jeu d’échiquier géopolitique, le Tadjikistan doit d’abord remettre ses rails à niveau. Et pas seulement sur 62 kilomètres. Or, l’électrification coûte cher, très cher. En moyenne, un million d’euros du kilomètre, en l’absence d’obstacles majeurs. Sans oublier l’entretien, les sous-stations électriques, le matériel roulant compatible…

Un début de chantier… ou une rustine politique ?

En somme, le projet d’électrification de Vahdat–Pakhtaobod a tout d’un test grandeur nature. Si l’expérience réussit, elle pourrait servir de vitrine pour obtenir des financements internationaux. Sinon, elle rejoindra la longue liste des projets avortés sur fond d’ambitions trop vastes pour un budget trop mince.

En attendant, le pays continue de transporter la majorité de ses marchandises sur des rails d’un autre temps, en espérant que quelques câbles suspendus suffiront à le propulser dans le futur.

Illustration www.freepik.com.

Par Païsiy Ukhanov
Le 07/25/2025

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