Ouzbékistan-Afrique : une diplomatie du Sud global qui s’affirme
Afrique

L’Ouzbékistan accélère sa dynamique diplomatique en Afrique. Le 22 juillet 2025, le ministère des Affaires étrangères ouzbek a confirmé à Gazeta.uz qu’entre 2023 et 2025, treize nouvelles relations bilatérales avaient été établies avec des États africains. Ce renforcement spectaculaire survient après quinze années d’interruption diplomatique, la dernière vague de reconnaissance datant de 2008.

Diplomatie économique et repositionnement stratégique : les nouveaux leviers de Tachkent

Le moment n’est pas anodin : le contexte international, dominé par les recompositions stratégiques du Sud global, offre à Tachkent une opportunité inespérée d’échapper à ses ancrages traditionnels. Comme l’a rappelé le ministère dans une déclaration publiée dans Gazeta.uz, « l’Afrique est aujourd’hui l’un des pôles clefs de la croissance économique mondiale, avec une population en forte expansion, un marché en plein essor et d’abondantes ressources naturelles ».

Derrière cette course aux ambassades se cache une logique bien plus concrète : l’intérêt économique. Les échanges commerciaux entre l’Ouzbékistan et les pays africains ont été multipliés par deux entre 2020 et 2024. Le ministère ouzbek cite des chiffres très explicites : les exportations vers l’Afrique ont bondi de 22,5 millions de dollars à 53,8 millions de dollars, tandis que les importations sont passées de 15,8 millions à 58,2 millions de dollars. À titre indicatif, cela représente près de 49,5 millions d’euros d’exportations et 53,6 millions d’euros d’importations, selon le taux moyen de change 2024.

Quels secteurs sont ciblés ? Le commentaire officiel précise sans ambages : « Le partenariat économique, la coopération agricole, la médecine, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, ainsi que l’énergie verte et la résilience climatique figurent parmi les priorités de cette nouvelle ère de coopération ».

La diversité sectorielle traduit une ambition claire : ne plus se contenter d’être un pays récepteur d’investissements, mais devenir lui-même un acteur économique régional à influence multipolaire, en particulier dans les niches technologiques et agroalimentaires.

Coopération Sud-Sud : rhétorique diplomatique ou basculement doctrinal ?

Si le vocabulaire employé par le ministère semble calibré pour plaire aux organismes multilatéraux — on parle d’« égalité mutuelle », de « respect réciproque » ou encore de « dialogue interrégional » —, c’est bien la logique d’indépendance diplomatique qui structure cette offensive africaine.

L’idée d’un format « C5 + Union africaine », c’est-à-dire d’un dialogue entre les cinq pays d’Asie centrale et les institutions panafricaines, est évoquée sans détour : « Le dialogue interrégional entre l’Asie centrale et l’Afrique est une perspective prometteuse qui s’inscrit dans la logique du renforcement de la coopération Sud-Sud ».

C’est dans cette dialectique que se lit la volonté ouzbèke de remodeler sa doctrine extérieure, en passant d’un alignement implicite sur les grandes puissances à un positionnement multivectoriel audacieux.

Symboles, archives, et diplomatie d’influence : une stratégie patiente mais déterminée

L’historique complet publié par Gazeta.uz dévoile une construction méthodique de ces relations depuis 1992. De l’Algérie (30 juin 1992) à l’Érythrée (10 juillet 2025), les reconnaissances bilatérales ont été souvent scellées dans des capitales tierces, signe de démarches discrètes mais soutenues. Le mode opératoire ? Protocole signé à Moscou, commu­niqué conjoint à New York, échanges de notes à Tashkent ou encore reconnaissance formelle à Istanbul… Rien n’est laissé au hasard. Cette approche technique révèle une diplomatie d’influence encore peu visible mais hautement calculée, visant à assurer à l’Ouzbékistan une capillarité diplomatique sur un continent souvent courtisé mais rarement écouté.

Une architecture diplomatique à long terme ou une lubie de conjoncture ?

L’un des axes les plus marquants de ce virage est l’intention affichée d’instaurer des visites réciproques à haut niveau. « Un certain nombre d’invitations sont à l’étude, et des négociations thématiques sont en cours », confirme le ministère.

Loin d’être une posture symbolique, cette stratégie semble s’inscrire dans une architecture durable : bâtir un réseau d’alliances équitables, s’ériger en trait d’union entre blocs régionaux, et — surtout — anticiper les futurs foyers de croissance mondiale.

Mais alors, l’Afrique n’est-elle pour Tachkent qu’une alternative tactique, ou bien un axe stratégique de long terme ? La réponse viendra sans doute non pas d’un prochain discours, mais d’un prochain contrat. Ou d’un prochain sommet.

Par Rodion Zolkin
Le 07/24/2025

Newsletter

Pour rester informé des actualités de l’Asie centrale