Poutine attendu à Douchanbé : un ballet diplomatique aux enjeux multiples
Vladimir Poutine et Emomali Rahmon

Le président russe, Vladimir Poutine, effectuera une visite d’État au Tadjikistan en octobre 2025. Derrière les poignées de main protocolaires, les enjeux sont nombreux, entre ambition géopolitique, impératif économique et rappels historiques.

L’ombre longue de Poutine plane sur Douchanbé

Le mois d’octobre 2025 marquera le retour de Vladimir Poutine au Tadjikistan pour une visite d’État inscrite dans le calendrier officiel du gouvernement tadjik. Cette venue présidentielle n’est pas une escapade diplomatique de plus : elle s’inscrit dans un contexte tendu, mais opportun pour renforcer les liens stratégiques entre Moscou et Douchanbé. Il faudra remonter au 30 juin 2022 pour retrouver la dernière visite de Poutine dans la capitale tadjike. Un déplacement qualifié de « visite de travail », centré alors sur des discussions bilatérales et sur la situation régionale, notamment en Afghanistan. Depuis, la géopolitique d’Asie centrale a changé de physionomie. En mars 2025, Emomali Rahmon s’était rendu à Moscou, poursuivant la séquence diplomatique par une rencontre « officielle » où les deux chefs d’État avaient évoqué « les perspectives de développement du partenariat stratégique et de l’alliance russo-tadjike », selon un compte rendu du gouvernement tadjik.

Poutine au Tadjikistan : un théâtre pour la CEI et le sommet Asie centrale – Russie

Le séjour du président russe ne se limitera pas aux discussions bilatérales. Il comprendra également une participation au Conseil des chefs d’État de la Communauté des États indépendants (CEI), qui se tiendra à Douchanbé. Il s’agit d’un retour de flambeau : après avoir présidé le Conseil en 2024, la Russie a passé le relais au Tadjikistan le 1er janvier 2025. Ce sommet sera la première grande réunion régionale sous présidence tadjike.

Autre rendez-vous de taille : le Sommet « Asie centrale – Russie ». Lancé à Astana en octobre 2022 pour célébrer les 30 ans des relations diplomatiques entre Moscou et les cinq pays d’Asie centrale, ce forum ambitionne d’intensifier la coopération sécuritaire et commerciale entre les six États. Le choix de Douchanbé pour accueillir cette édition n’a rien d’anodin : c’est une reconnaissance tacite de la centralité du Tadjikistan dans le jeu d’équilibre régional.

Quand Moscou investit le Tadjikistan

Sous l’apparente cordialité des discours, l’économie tisse en réalité les fils du pouvoir. Selon les chiffres du Comité des statistiques du Tadjikistan, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays a atteint environ 900 millions de dollars (soit près de 822 millions d’euros) sur les cinq premiers mois de 2025, en hausse de 9,3% par rapport à 2024. Un chiffre significatif, mais qui révèle un déséquilibre criant : le Tadjikistan exporte pour 42 millions de dollars vers la Russie, tandis que les importations russes culminent à 858 millions de dollars.

Côté investissement, Moscou reste un acteur incontournable : 2 milliards de dollars injectés dans l’économie locale, selon les mêmes sources, ce qui fait de la Russie le deuxième investisseur du pays derrière la Chine. Une emprise économique qui s’étend à l’infrastructure, à l’énergie et au secteur bancaire.

Main-d’œuvre et loyauté : un équilibre fragile

Mais le pilier invisible de cette relation reste la diaspora tadjike en Russie. Entre un et deux millions de citoyens tadjiks vivent et travaillent sur le territoire russe. Une manne financière pour le Tadjikistan, dont une partie importante du PIB repose sur les transferts de fonds de ces travailleurs migrants. C’est un levier dont Moscou use avec habileté. Une fermeture temporaire de frontières, un durcissement administratif, et les équilibres internes de Douchanbé pourraient vaciller. Un chantage discret, mais bien réel.

Les bases juridiques de cette proximité ne datent pas d’hier. Le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle de 1993, puis le Traité d’alliance pour le XXIe siècle signé en 2005, scellent une relation multiforme entre les deux pays. L’inscription du Tadjikistan dans les structures eurasiatiques comme la CEI, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ou encore l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) entérine cette orientation géostratégique à l’est.

Le retour de Vladimir Poutine au Tadjikistan ne saurait être lu comme une simple formalité diplomatique. Dans une région courtisée par Pékin, survolée par les drones turcs et guettée par les mouvements extrémistes transfrontaliers, chaque déplacement prend valeur de signal. Poutine vient réaffirmer une présence, une influence, une fidélité. Mais derrière les déclarations d’amitié et les chiffres d’investissement, qui tient réellement les rênes ?

Par Païsiy Ukhanov
Le 07/21/2025

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