Le 15 juillet 2025, une petite salle du centre de Tachkent accueillait les derniers jours d’une formation inédite : six mois de cours intensifs de langue des signes internationale, pilotés par le International Inclusive Hub sous l’égide de l’Agence nationale de protection sociale. Quinze apprenants triés sur le volet, dont des interprètes professionnels et des personnes sourdes, venaient clore une expérience que personne n’avait osé tenter jusque-là dans le pays.
En Ouzbékistan, la langue des signes fait enfin école
À l’origine de cette initiative : une ambition claire. Offrir à des citoyens longtemps marginalisés un véritable tremplin vers l’autonomie et la reconnaissance sociale. Et surtout, démontrer qu’en Ouzbékistan, le mot « inclusion » peut enfin sortir des rapports administratifs pour entrer dans les faits.
Le programme, étalé de janvier à juin 2025, comptait 72 heures académiques et comprenait huit sessions ouvertes au public, animées par des spécialistes venus de six pays – du Koweït à l’Allemagne, en passant par la Corée du Sud et la Turquie. Un brassage international pour nourrir un contenu pédagogique exigeant : maîtrise des structures de la langue des signes internationale, pratiques d’interprétation, médiation culturelle, mais aussi contextualisation sociale du handicap.
« Ce cours est devenu une contribution sérieuse à mon développement professionnel », déclarait à Gazeta.uz Davron Khidirov, entraîneur principal de l’équipe ouzbèke de taekwondo pour sourds, à l’issue de la session. Un témoignage révélateur d’un basculement : ici, la langue des signes ne se limite plus à la sphère associative. Elle devient outil de formation, levier d’employabilité, passerelle vers les échanges internationaux.
Une pénurie criante d’interprètes
Si le projet suscite autant d’attention, c’est aussi parce qu’il comble un vide. Et quel vide. À Tachkent, on recense environ 8 000 personnes sourdes pour… dix interprètes professionnels. Un ratio déconcertant : un traducteur pour 800 usagers potentiels. Impossible, dans ces conditions, de garantir un accès digne à l’éducation, aux soins, à la justice, ou simplement à la vie quotidienne.
« Nous avons identifié un déficit systémique », explique Tatyana An, responsable du programme. « L’accès à la langue des signes est une condition préalable à la participation pleine et entière des personnes sourdes à la vie sociale. Former, ce n’est pas un bonus humanitaire : c’est réparer une fracture. »
La fracture est aussi statistique : selon les dernières données disponibles, l’Ouzbékistan compterait plus de 32.000 citoyens avec une déficience auditive. Pourtant, aucune reconnaissance officielle de la langue des signes ouzbèke (variante régionale de la langue des signes russe) n’est en vigueur. Tout se fait dans les marges, sur fonds associatifs ou grâce à des initiatives comme celle-ci.
Au-delà du cours : un chantier national
Ce que les organisateurs visent désormais, c’est la consolidation. Déjà, un niveau avancé du programme est en préparation. Et d’autres modules devraient suivre, orientés vers le tourisme inclusif – des guides formés pour accompagner tous les publics – ou encore vers un cours de base à destination du grand public. L’objectif ? Briser les murs de l’incompréhension.
Ces ambitions sont d’autant plus urgentes que l’Ouzbékistan, comme nombre de pays de la zone post-soviétique, n’a jamais pleinement intégré la langue des signes dans ses politiques publiques. Là où certains pays, à l’image du Kirghizistan ou de la Géorgie, entament une reconnaissance partielle, Tachkent restait jusqu’à aujourd’hui dans un flou juridique et institutionnel.