Le 11 juillet 2025, à Kaboul, le Kazakhstan a officialisé ce que beaucoup, dans les couloirs des chancelleries d’Asie centrale, attendaient depuis des mois : un accord avec le gouvernement afghan pour la construction d’un chemin de fer transafghan. Pas une énième déclaration creuse ou un projet de plus sur papier glacé, mais un memorandum d’entente, signé par le ministre kazakh des Affaires étrangères Murat Nurtleu et ses homologues afghans, visant à relier la frontière turkmène au cœur économique de l’ouest afghan, Hérat.
Le Kazakhstan trace son sillon vers le Sud avec le chemin de fer transafghan
Officiellement, le texte signé prévoit un investissement de 500 millions de dollars (environ 460 millions d’euros) pour financer la ligne Torghundi–Hérat, un tronçon clé d’un corridor logistique continental qui permettrait de raccorder le Kazakhstan aux ports pakistanais via l’Afghanistan.
Mais ce que le document ne dit pas, c’est la portée politique de cette initiative. En pleine reconfiguration des routes commerciales eurasiennes, Astana se positionne en artisan pragmatique d’un nouvel ordre régional. « Nous souhaitons hisser le commerce bilatéral à 3 milliards de dollars par an », a déclaré Murat Nurtleu Et pour y parvenir, le Kazakhstan est prêt à poser les rails de l’avenir, littéralement.
Intégrer l’Afghanistan, mais pas n’importe comment
Dans les échanges entre Astana et Kaboul, ce chemin de fer n’est qu’un volet parmi d’autres. Il est le symbole d’une diplomatie économique construite à coups de convois, de quotas étudiants doublés, de promesses d’exportation de carburants, d’engrais, de produits agroalimentaires.
L’Afghanistan ? Un pays que le Kazakhstan a délibérément retiré de sa liste des organisations terroristes, comme l’a rappelé le ministère des Affaires étrangères kazakhstanais. Un choix assumé, même s’il fait grincer quelques dents côté occidental.
À Kaboul, Murat Nurtleu a rencontré Amir Khan Muttaqi, chef de la diplomatie afghane, pour évoquer non seulement la ligne ferroviaire, mais aussi un axe d’échange commercial élargi passant par Turkménistan et Iran.
Une ambition chiffrée, mais pas encore coulée dans le béton
À ce stade, le chemin de fer transafghan reste un chantier à venir. Le tracé est défini : trois phases, dont la première débute à Torghundi, à la frontière avec le Turkménistan, jusqu’à Robat Paryan, avant de rallier Hérat.
Mais aucun appel d’offres n’a encore été lancé. Aucune pelleteuse n’a encore mordu la terre afghane. Le calendrier ? Encore flou. Les entreprises ? Pas nommées. Les garanties sécuritaires ? Fragiles, dans un pays où les lignes ferroviaires sont déjà visées par des groupes armés.
Pourtant, le signal politique est clair : le Kazakhstan veut jouer un rôle pivot, entre la Chine, la Russie, l’Iran et le Pakistan. Et pour cela, il lui faut plus que du pétrole ou du blé. Il lui faut des rails.
Quand les rails dessinent une carte d’influence
La question n’est pas seulement logistique. Elle est stratégique. Le chemin de fer que le Kazakhstan s’apprête à financer, c’est aussi un corridor diplomatique. Une ligne qui pourrait redéfinir les équilibres régionaux, connecter des territoires enclavés à l’océan Indien, desservir des régions afghanes pauvres, et offrir au Kazakhstan un rôle de médiateur entre blocs géopolitiques concurrents. La Chine s’intéresse au corridor, bien sûr. La Russie aussi. Mais c’est le Kazakhstan qui, pour l’heure, met la main à la poche. Ce sont les Kazakhs qui avancent, pendant que d’autres hésitent.
Rien de construit, mais déjà beaucoup d’affirmé
Le chemin est encore long, mais les enjeux sont là. Un chemin de fer, ce n’est pas qu’un axe de transport. C’est une ligne de fracture, ou d’union. C’est une route de sortie pour un Afghanistan asphyxié, une preuve de confiance pour un Kazakhstan qui parie sur la stabilité à long terme.
Et si, en 2026, les convois kazakhstanais parviennent à Hérat, puis au port pakistanais de Gwadar, alors ce n’est pas qu’un train qui arrivera à bon port. Ce sera une politique étrangère qui aura atteint son objectif.