La Lituanie resserre les frontières : vers un isolement ciblé des Tadjiks ?
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Le 25 juin 2025, la Lituanie a annoncé la fermeture imminente de son centre de visas situé au Tadjikistan. Cette décision, qui prendra effet le 31 juillet 2025, a été annoncée par le ministère des Affaires étrangères lituanien. En toile de fond : une flambée de l’immigration irrégulière qui prend la capitale Vilnius de court. Et les ressortissants tadjiks se retrouvent au cœur de ce tourbillon sécuritaire.

Lituanie : entre soupçons, flux incontrôlés et revirement politique

Si la Lituanie était jusqu’ici une escale mineure pour les citoyens d’Asie centrale cherchant à pénétrer l’espace Schengen, la donne semble avoir brutalement changé. Selon les autorités lituaniennes, une part croissante de migrants en situation irrégulière entrant sur le territoire via des visas de travail ou humanitaires proviendrait du Tadjikistan. Un chiffre précis n’est pas officiellement diffusé, mais la rhétorique employée est limpide : le dispositif est accusé de favoriser un afflux de personnes qui « abusent » des procédures légales d’obtention de visa.

Dans un communiqué relayé par le média lituanien LRT, le ministère justifie ainsi sa décision : « le centre de visas a été identifié comme un point de vulnérabilité dans notre système de contrôle migratoire ». Le même texte évoque une stratégie de numérisation à venir, annonçant un possible système de visa long séjour électronique.

Tadjiks visés : victimes collatérales ou coupables désignés ?

Du côté de Douchanbé, la stupeur domine. La fermeture d’un tel centre, unique point de contact pour des milliers de citoyens tadjiks souhaitant se rendre en Lituanie pour étudier, travailler ou rejoindre des proches, complique drastiquement les démarches consulaires. Les demandeurs devront désormais s’adresser à l’ambassade lituanienne située à Tbilissi, en Géorgie – une exigence peu réaliste pour de nombreuses familles tadjikes.

Quant à l’ambassade, elle continuera à offrir des services, mais exclusivement par voie électronique. Une manœuvre qui peut sembler technocratique, mais qui pour beaucoup prend des allures de verrouillage discret. Dans les coulisses, plusieurs observateurs y voient une stratégie d’« étouffement consulaire » déguisée.

Quant aux raisons invoquées, elles reposent sur un faisceau de suspicions plus que sur des preuves détaillées. Les autorités lituaniennes accusent plusieurs centaines de ressortissants tadjiks d’avoir utilisé légalement des visas avant d’enfreindre les règles de séjour ou de transit à travers d’autres pays européens. Mais où s’arrête la responsabilité individuelle et où commence la stigmatisation nationale ?

Lituanie : l’illusion d’un contrôle total dans un espace sans frontières

La décision de Vilnius s’inscrit dans une tendance plus large au sein de l’Union européenne. Depuis la crise migratoire de 2021, plusieurs États membres ont révisé leur politique consulaire. La Lituanie, en particulier, a renforcé ses contrôles à la frontière avec le Bélarus et a adopté un ton plus dur vis-à-vis des flux provenant d’Asie centrale.

Dans ce contexte, le Tadjikistan semble être devenu une cible commode. Le pays, déjà éprouvé par la pauvreté, la dépendance aux transferts de sa diaspora et des perspectives économiques fragiles, voit aujourd’hui ses citoyens pénalisés par une logique sécuritaire venue d’ailleurs. Le centre de visas devient alors le bouc émissaire d’un déséquilibre global bien plus profond.

Ironie de l’histoire : ce sont souvent les travailleurs tadjiks qui pallient le déficit de main-d’œuvre dans certaines régions d’Europe de l’Est. En fermant la porte sans proposer d’alternative viable, la Lituanie sape elle-même les ponts que ses entreprises avaient contribué à bâtir.

Un signal fort, mais à double tranchant

La fermeture du centre de visas à Douchanbé est un signal clair envoyé par Vilnius : la Lituanie ne veut plus être une voie d’accès facile à l’Union européenne pour des ressortissants d’États jugés à risque. Mais derrière cette posture sécuritaire, des vies sont suspendues, des projets mis en pause, des familles divisées.

La politique migratoire lituanienne opère une mue brutale, marquée par une logique de filtrage et de suspicion. Les conséquences pourraient bien dépasser les ambitions initiales. Car à vouloir verrouiller l’entrée, encore faut-il ne pas enfermer la diplomatie dans l’arbitraire.

Par Rodion Zolkin
Le 07/07/2025

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