Dans les rues de Tachkent comme dans les plaines de Navoï, les lignes à haute tension s’élancent désormais avec une vigueur inattendue. Et pour cause : une transformation fulgurante est en cours dans les entrailles du réseau énergétique ouzbek. Ce qui était encore récemment un point faible est en passe de devenir un levier stratégique.
L’Ouzbékistan et l’électricité : chronique d’une pénurie devenue guerre d’indépendance
Lla capacité totale du système énergétique ouzbek a atteint 25 GW. Soit une augmentation de plus de 50 % par rapport aux 16,4 GW enregistrés en 2020, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Énergie et confirmés par les agences spécialisées.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette percée spectaculaire n’est pas née d’un jour printanier. Elle est l’aboutissement d’une crise chronique d’approvisionnement en électricité qui a longtemps pesé sur l’économie et les foyers du pays. À l’hiver 2020-2021, des coupures massives avaient paralysé l’activité industrielle, provoqué des protestations sociales et mis à nu les carences du réseau national. L’énergie fossile – charbon, gaz naturel et pétrole – représentait alors l’épine dorsale du système, avec près de 85% de la production électrique issue de centrales thermiques vieillissantes, inefficaces et dépendantes de la volatilité des marchés.
Un tournant stratégique : quand l’électricité devient levier de souveraineté
Face à l’urgence, Tachkent a réagi avec une brutalité stratégique assumée. Objectif : renverser l’architecture énergétique nationale. Depuis 2021, des investissements colossaux – plus de 3 milliards d’euros d’engagements publics et privés – ont été mobilisés pour moderniser les infrastructures, construire de nouvelles unités et intégrer les énergies renouvelables. En mai 2025, l’Ouzbékistan a intégré dans son mix une capacité installée de 3,5 GW d’origine solaire et éolienne, dont les projets phares sont le parc photovoltaïque de Nur Navoi et le champ éolien de Zarafshan.
Et ce n’est pas fini. Le plan gouvernemental prévoit d’ajouter 3,5 GW de capacités renouvelables supplémentaires d’ici 2026, et 1,8 GW de capacités de stockage, selon le ministère de l’Énergie. Un pas de géant pour un pays enclavé, souvent oublié sur la carte énergétique mondiale.
Mais ce ne sont pas les seuls signaux d’émancipation. Le gouvernement a lancé une série de partenariats internationaux, notamment avec Masdar (Émirats arabes unis), Total Eren (France), ACWA Power (Arabie Saoudite) et Rosatom (Russie). Ce dernier étudie actuellement l’implantation d’un réacteur VVER-1000 à Djizak – une première pour l’Asie centrale.
En Ouzbékistan, la production d’électricité a bondi de 38% depuis 2016
Depuis 2016, la production d’électricité a bondi de 38%, passant de 59 à 81,5 milliards de kWh, selon les données du ministère de l’Énergie. Et la tendance s’accélère : en 2025 seulement, l’Ouzbékistan a généré près de 84 milliards de kWh.
L’impact se fait ressentir au quotidien. Les coupures hivernales ont fortement diminué, et plusieurs zones industrielles bénéficient désormais d’une alimentation stable. Certaines régions, comme Boukhara ou Samarcande, commencent même à exporter leurs excédents vers le Kazakhstan et l’Afghanistan.
Et à ceux qui ironisent sur la lenteur de la transition, les autorités répondent désormais avec des faits. Le Premier ministre de l’Ouzbékistan, Abdulla Aripov déclarait en avril 2025 : « Nous ne parlons plus de rattraper le retard, mais de créer un modèle de résilience énergétique pour toute l’Asie centrale ».
La route vers 2030 : indépendance ou dépendances renouvelées ?
À l’horizon 2030, le pari est audacieux : 50% d’électricité renouvelable dans le mix énergétique. Mais pour y parvenir, les défis restent colossaux. Le réseau national souffre encore d’un manque d’interconnexion et de capacités de stockage. Le gaspillage énergétique est élevé, notamment dans les zones rurales, et les subventions maintiennent des prix artificiellement bas.
La Banque mondiale, qui a accordé 100 millions de dollars (environ 93 millions d’euros) de prêts pour renforcer la distribution, insiste sur la nécessité de réformes structurelles pour garantir la viabilité à long terme du modèle.
Par ailleurs, la géopolitique s’en mêle. Si l’Ouzbékistan développe ses renouvelables, il n’en demeure pas moins tributaire de fournisseurs étrangers pour les technologies solaires, les équipements de réseau et les ressources en uranium. L’illusion d’indépendance pourrait rapidement se heurter à une nouvelle forme de dépendance, plus discrète mais tout aussi stratégique.
De l’ombre à la lumière : une transition à surveiller
En transformant son réseau et en diversifiant ses sources, l’Ouzbékistan a accompli en cinq ans ce que certains États accomplissent en une génération. Mais la bataille de l’électricité ne fait que commencer. Elle se joue autant dans les kilowattheures produits que dans la capacité politique à affronter les défis sociaux, économiques et environnementaux de cette mutation.
Alors que l’été commence, les lumières restent allumées à Tachkent. Une victoire, certes. Mais aussi un rappel : la souveraineté énergétique ne se décrète pas – elle se construit, mégawatt après mégawatt.
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