Le Kazakhstan bâtit son premier « naukograd » : renaissance d’un modèle soviétique ou pari d’avenir ?
naukograd

Le 21 juin 2025, le gouvernement du Kazakhstan a validé la création de son tout premier « naukograd » – terme hérité du lexique soviétique, désignant une « ville scientifique » au statut particulier. Prévue dans la région d’Almaty, cette cité ultramoderne incarnera l’ambition d’un pays déterminé à transformer la science en levier économique. Mais derrière les promesses d’intelligence artificielle et de biotechnologie, faut-il y voir un retour aux recettes du passé ou une rupture radicale avec l’ère soviétique ?

Le Kazakhstan veut son « naukograd » : une ambition scientifique assumée

Le projet sera implanté sur un territoire de 500 hectares dans la région d’Almaty, en périphérie de la zone économique spéciale « Parc des technologies innovantes ». Cette localisation stratégique n’a rien d’un hasard : elle jouxte le technoparc « Alatau » et l’Institut de physique nucléaire, deux pôles clés de l’innovation kazakhstanaise. Près d’un tiers de la superficie sera dédiée à des infrastructures scientifiques, incluant universités et centres de recherche.

L’objectif est clair : faire du Kazakhstan une terre d’intégration rapide des avancées scientifiques dans l’industrie. Les secteurs prioritaires ? L’énergie et l’efficience énergétique, la biotechnologie, la sécurité alimentaire, ainsi que les technologies de l’information et l’intelligence artificielle. « L’objectif principal est de mettre rapidement en œuvre les développements scientifiques dans la production réelle en mettant l’accent sur l’efficacité commerciale », a fait savoir le gouvernement.

« La science doit être appliquée » : les mots forts d’un gouvernement décidé

Lors d’une réunion officielle, le vice-Premier ministre Serik Jumangarin a déclaré : « La science doit être appliquée. C’est la première fois que nous créons un naukograd au Kazakhstan. L’important est de déterminer avec quelles entreprises nous allons collaborer. Il nous faut une société de gestion qui prendra en main la réalisation ». Cette déclaration souligne la volonté d’ancrer ce projet dans une logique de partenariat public-privé. En parallèle, le Sénat kazakhstanais a récemment validé une loi sur les fonds d’endowment, destinés à financer durablement des projets scientifiques, éducatifs, culturels et environnementaux. Un signal fort envoyé aux investisseurs et aux institutions académiques.

Héritage soviétique : que cache vraiment le mot « naukograd » ?

Il serait naïf de croire que ce terme est neutre. Le « naukograd » n’est pas une invention contemporaine : il plonge ses racines dans l’Union soviétique. Dans les années 1960, l’URSS crée ces « villes scientifiques » pour concentrer savoirs, technologies et recherches stratégiques dans des enclaves fermées, souvent militarisées. Obninsk, premier naukograd soviétique, fut fondé en 1956 autour du premier réacteur nucléaire civil au monde.

Derrière l’ambition scientifique, un contrôle strict : les naukograds étaient fermés au public, dotés de statuts spéciaux et placés sous tutelle directe des ministères techniques. Certains survivent aujourd’hui en Russie, comme Dubna ou Korolev, spécialisés dans la physique nucléaire et l’aéronautique respectivement.

Le Kazakhstan, qui en hérita à l’époque soviétique, n’a jamais institutionnalisé ce modèle. Le choix de le ressusciter en 2025 n’est donc pas anodin : il marque une volonté de structuration forte du secteur scientifique, en écho à des modèles jugés efficaces, bien que controversés.

Une « cité de la science » : innovation ou cloisonnement ?

Peut-on réellement faire coexister efficacité économique, libertés académiques et interventionnisme étatique dans un même espace ? Le Kazakhstan prend un pari audacieux. D’un côté, la promesse de synergies nouvelles entre chercheurs, startups et industriels. De l’autre, un risque de concentration excessive, voire de verrouillage décisionnel au profit de quelques entreprises « partenaires ».

Le financement par endowment – inspiré du modèle anglo-saxon – pourrait contrebalancer cette centralisation, à condition d’une transparence exemplaire. Mais dans une économie encore marquée par l’empreinte de l’État, la vigilance sera de mise.

Par Rodion Zolkin
Le 06/21/2025

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