Le 13 juin 2025, à Astana, le géant américain Air Products a tenu une réunion décisive avec la direction de QazaqGaz, la compagnie nationale kazakhstanaise, filiale de Samruk-Kazyna. L’objectif affiché ? Explorer une coopération dans le domaine gazochimique. À la clé : des projets industriels de grande envergure et un positionnement américain renforcé dans un pays dont le gaz naturel attire autant les Européens que les géants asiatiques.
Air Products à l’assaut du Kazakhstan : stratégie ou hasard ?
Air Products, fondée en 1940, ce n’est pas une entreprise parmi d’autres. Spécialiste des technologies chimiques et énergétiques innovantes, elle affiche une présence dans cinquante pays et occupe la 350e position au classement Fortune 500. Quand une telle structure déploie une délégation de haut niveau à Astana, c’est qu’il y a une intention claire : s’implanter durablement dans une région sous les projecteurs depuis le déclenchement des tensions géopolitiques mondiales sur l’énergie.
Conduite par Ivo Bols, président Europe & Afrique d’Air Products, la délégation incluait également Vaclav Harrant, vice-président pour l’Europe centrale et l’Asie centrale, et Arthur Gazizyanov, directeur du développement commercial. Autrement dit, le gotha du développement stratégique hors États-Unis. Ils n’étaient pas venus pour signer un protocole creux, mais bien pour discuter de « la création de projets gazochimiques de grande envergure au Kazakhstan », selon le communiqué de QazaqGaz.
Une diplomatie de l’azote : Air Products, puissance douce made in USA
Le positionnement d’Air Products dans ce dossier n’est pas neutre. L’entreprise est l’un des leaders mondiaux dans les gaz industriels, avec un savoir-faire spécifique dans le traitement, la liquéfaction et la valorisation du gaz naturel. En s’invitant à la table kazakhe, elle espère capter une part de la nouvelle vague de développement gazochimique, alors que le pays multiplie les appels d’offres pour des installations de transformation en aval, notamment dans le but de réduire sa dépendance aux simples exportations brutes.
Ce coup de poker kazakhstanais intervient alors même que d’autres puissances tentent de raffermir leur contrôle sur les infrastructures énergétiques de la région. Moscou regarde d’un mauvais œil ce rapprochement entre Air Products et Astana, tout comme Pékin, habitué à dominer les appels d’offres régionaux via la China National Petroleum Corporation. Mais face à un Occident en quête d’alternatives au gaz russe, le Kazakhstan entend bien faire valoir sa carte.
La chimie des milliards : Karachaganak, le caillou dans la chaussure
Mais l’entrée en scène des États-Unis intervient dans un contexte tendu. En mai 2025, un consortium mené par Eni et Shell a proposé de faire passer le coût d’une usine de traitement de gaz à Karachaganak de 3,5 à 6 milliards de dollars. Dans la foulée, les mêmes ont réclamé à la partie kazakhe une compensation d’un milliard de dollars, invoquant des risques de rentabilité insuffisante. Du côté de Shell, contacté par Kursiv Media, silence radio : ni confirmation ni démenti quant à un possible retrait du projet.
Faut-il y voir une opportunité pour Air Products de s’engouffrer dans une brèche ouverte par les Européens ? Si rien n’est signé, le timing interroge. Le Kazakhstan pourrait tirer parti de ces incertitudes pour faire jouer la concurrence, diversifier ses partenaires et éviter une redite du scénario Kashagan où le projet gazier avait accumulé retards et surcoûts.
Des intentions aux usines, il reste un pas
La visite d’Air Products ne garantit pas une implantation immédiate. Mais elle envoie un signal fort : les États-Unis n’ont pas renoncé à jouer un rôle dans la transformation énergétique mondiale, y compris dans des zones traditionnellement dans la sphère d’influence d’autres puissances. Pour le Kazakhstan, le pari est risqué mais calculé : multiplier les partenaires pour maximiser les marges de négociation et renforcer son autonomie stratégique.
Le prochain chapitre dépendra de la capacité d’Astana à concrétiser ces intentions par des accords contraignants, sans se faire happer dans les querelles de multinationales. D’ici là, la chimie diplomatique reste suspendue… au gaz.
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