À l’heure où les réservoirs s’assèchent et que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer, le Kazakhstan entame un virage stratégique. Le 9 avril 2025, le président Kassym-Jomart Tokaïev a signé un nouveau Code de l’eau, véritable manifeste hydrique censé poser les jalons d’une gouvernance plus sobre et durable. Porté par le ministère de l’irrigation et des ressources aquatiques, le texte vise à conjurer la menace d’un stress hydrique devenu structurel.
Le Code de l’eau, boussole législative d’un pays en pénurie
Le nouveau Code de l’eau érige désormais la sécurité hydrique en objectif national. Ce concept, inédit dans la législation kazakhstanaise, englobe la protection des citoyens et de l’économie contre le manque d’eau, la pollution des milieux aquatiques et la perte de souveraineté sur les ressources transfrontalières. Autant dire qu’il ne s’agit pas d’un toilettage juridique mais d’un véritable acte fondateur.
L’adoption du Code par le parlement du Kazakhstan le 5 mars, puis son aval par le Sénat le 20 mars, précède de peu sa promulgation. L’urgence était là : les prévisions sur les disponibilités d’eau sont en berne, les sécheresses deviennent cycliques, et les pertes agricoles atteignent parfois 50% des volumes disponibles.
Code de l’eau et Kazakhstan : un arsenal face aux dérèglements
Le texte, particulièrement dense, s’articule autour de plusieurs innovations majeures. Première nouveauté : l’introduction d’un débit écologique minimal dans les cours d’eau et plans d’eau, garant de la survie des écosystèmes. Deuxième pilier : l’élaboration de plans de gestion intégrée à l’échelle nationale et des bassins fluviaux, indispensables pour anticiper la ressource et orienter les usages.
Là où le Kazakhstan se distingue, c’est par la volonté d’impliquer la société civile dans ces décisions. Les conseils de bassin peuvent désormais recommander la réduction des volumes autorisés, pointer les manquements des autorités locales ou prescrire des mesures de prévention face aux sécheresses.
Préserver pour durer : petits cours d’eau, glaciers, zones humides
Le Code de l’eau met également sous protection plusieurs milieux fragiles. Il interdit les barrages infranchissables sur les petites rivières, introduit un statut spécifique pour les zones humides et impose aux autorités locales de définir des zones de protection autour de tous les points d’eau dans un délai de deux ans.
Les glaciers, sources vitales d’alimentation fluviale, bénéficient eux aussi d’un encadrement renforcé, tandis que les eaux de crue et de fonte devront désormais être stockées et intégrées à des circuits de réutilisation – notamment agricole.
Des eaux mieux gérées, surveillées, recyclées
L’obsession de ce nouveau Code de l’eau : rationaliser. L’exploitation des ressources sera conditionnée à l’élaboration d’un plan de recyclage ou de réutilisation des eaux dans un délai de deux ans, pour une mise en œuvre sur cinq ans. Le tout sera intégré à une base nationale d’information sur l’eau, composée de modules interconnectés couvrant l’usage, les données géographiques et la gestion des flux transfrontaliers.
Autre innovation : la possibilité, pour les exploitants agricoles, de constituer des retenues d’eau (jusqu’à deux millions de mètres cubes) sans autorisation préalable, à condition d’en notifier l’administration.
Une réforme musclée et multisectorielle
Le nouveau texte ne s’est pas contenté de revoir la politique de l’eau : il modifie également 13 lois et plusieurs codes, dont le Code civil, le Code foncier, le Code de l’environnement et le Code administratif. Les infractions en matière hydrique sont désormais plus sévèrement réprimées, notamment dans les cas d’usage illicite ou de gaspillage manifeste. Des règles spécifiques s’appliquent aux terrains accueillant des installations aquatiques, en zone urbaine comme rurale.
La sécurité des ouvrages hydrauliques fait, elle aussi, l’objet d’une attention particulière : recensement systématique, audits de sécurité, élaboration de déclarations de conformité, etc. Le « laisser-faire » technique n’a plus droit de cité.
Le Kazakhstan et le Code de l’eau : vers une gestion intégrée
Ce nouveau Code de l’eau entend incarner une politique hydrique radicalement refondée. Il s’appuie sur cinq grands principes, selon le ministre Nurlan Nurzhigitov : « La reconnaissance de l’eau comme élément fondamental de l’environnement, base de la vie et du développement économique, la prévention de son épuisement, l’usage intégré de l’eau de surface et souterraine, la participation du public et l’adaptation au changement climatique ».
Reste à savoir si cette volonté législative saura franchir les fossés bureaucratiques, les inerties locales et les logiques extractives encore puissantes. L’eau, bien commun par excellence, aura désormais ses propres lignes rouges – mais la mise en œuvre reste le vrai test.