Les cérémonies officielles apaisent-elles les blessures quand le silence étouffe les voix citoyennes ? Au Kazakhstan, la mémoire nationale des victimes de la terreur stalinienne reste un terrain miné, entre discours présidentiel et interdiction des commémorations populaires.
La mémoire selon Kassym-Jomart Tokaïev : un hommage calibré et contrôlé
Le 31 mai 2025, le président Kassym-Jomart Tokaïev a honoré la Journée de la mémoire des victimes des répressions politiques et de la famine en déposant une gerbe au complexe mémoriel ALZHIR, site emblématique des souffrances endurées sous Staline. Devant les caméras, il a appelé à un devoir de souvenir, tout en mettant en garde contre l’excès de nostalgie tragique : « Il est impossible de vivre constamment dans le passé, en percevant la réalité moderne à travers le prisme des tragédies historiques ». Une phrase qui résume une doctrine mémorielle ambiguë : reconnaître les crimes, sans jamais en faire un levier de contestation contemporaine.
Cette déclaration, en apparence neutre, intervient dans un contexte où la gestion officielle de la mémoire devient un outil politique. En affirmant que la tragédie des répressions « n’a pas touché uniquement les Kazakhs », Kassym-Jomart Tokaïev dilue la spécificité du traumatisme national. Le président ne remet pas en cause la responsabilité historique du régime soviétique, mais réoriente l’interprétation vers un récit collectif multiethnique, souvent utilisé pour affaiblir les revendications de justice historique spécifiques au peuple kazakh.
Interdictions en série : le verrouillage d’un deuil populaire
À la périphérie du récit officiel, les citoyens désireux d’honorer les disparus ont vu leurs droits entravés. Dans des villes comme Astana, Shymkent, Pavlodar ou Almaty, les autorités locales ont systématiquement refusé les demandes de rassemblements pacifiques pour le 31 mai. Les prétextes invoqués relèvent d’un cynisme bureaucratique : occupation des lieux, absence de documents « réglementaires » ou encore travaux de voirie. Même les associations proches du pouvoir ont reçu des consignes officieuses les incitant à renoncer aux cérémonies, au nom du « caractère festif » de l’année du trentième anniversaire de l’Assemblée du peuple du Kazakhstan. Le souvenir des répressions devient ainsi un champ de bataille symbolique où l’État tolère le deuil, à condition qu’il reste silencieux.