Crédits piégés : face aux arnaques bancaires, le Kazakhstan érige de nouveaux remparts
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Le 29 mai 2025, les autorités kazakhstanaises ont annoncé une série de mesures inédites encadrant l’octroi des prêts, dans le but affiché de lutter contre la fraude bancaire et de sécuriser les transactions des particuliers. Cette réforme, validée par le Sénat mais encore en attente de ratification définitive, constituera un jalon pour la législation financière du pays, confronté à une explosion des crédits contractés à l’insu des citoyens.

Au Kazakhstan, une réforme du crédit qui change les règles du jeu

Depuis des années, les plaintes se multiplient au Kazakhstan : des citoyens découvrent avoir contracté un prêt… sans jamais avoir donné leur accord. À l’origine de ces pratiques : le développement du crédit en ligne, souvent assorti de contrôles laxistes. Résultat : un terrain fertile pour les escrocs.

Le projet de loi, présenté par le sénateur Serik Karplyuk, veut corriger ces dérives. Désormais, pour toute première demande de prêt, l’emprunteur devra obligatoirement se présenter physiquement dans une agence bancaire. « Pour lutter contre les emprunts contractés sans consentement, une présence en personne est exigée pour les primo-emprunteurs », a fait savoir le sénateur.

Ce principe du « visage visible » s’ajoute à une autre innovation : l’instauration d’un délai de réflexion de 24 heures pour les prêts en ligne. Concrètement, un contrat de crédit numérique ne pourra être validé qu’un jour après sa signature électronique, le temps pour l’usager de se rétracter en cas de doute. Cette période de « refroidissement », déjà en vigueur dans d’autres juridictions, vise à endiguer les engagements précipités ou frauduleux.

Mécanisme de radiation extrajudiciaire : révolution ou mirage ?

L’Agence pour la régulation et le développement du marché financier du Kazakhstan (ARRFR) affirme que cette nouvelle législation permettra d’annuler certains crédits sans décision judiciaire préalable. En clair : un prêt frauduleux pourra être radié sans passer par un tribunal, à condition de prouver que les règles d’octroi n’ont pas été respectées. Mais cette avancée soulève aussi des questions fondamentales sur la responsabilité des établissements bancaires, les procédures de vérification, et l’avenir de la confiance dans le système de crédit.

Jusqu’à présent, l’annulation d’un prêt frauduleux passait obligatoirement par les tribunaux. Long, coûteux, incertain. Dorénavant, un nouvel article introduit la possibilité d’une radiation directe par la banque ou l’organisme prêteur, si ce dernier a manqué à ses obligations de vigilance.

Selon Olzhas Kizatov, vice-président de l’ARRFR, « si une banque ou une organisation de microfinance enfreint les exigences de présence physique ou de consentement, la radiation du crédit pourra être effectuée sans procédure judiciaire ». En somme, la responsabilité est renvoyée vers les établissements financiers eux-mêmes, qui devront justifier de la conformité des démarches. Mais comment seront encadrés ces pouvoirs ? Quelles garanties pour éviter des abus inverses, voire des radiations contestées par les créanciers eux-mêmes ?

Le texte prévoit également que ces éléments soient « facilement administrables », notamment via la biométrie et des traces numériques. Reste à savoir si ces dispositifs seront accessibles et utilisables en cas de litige.

La fraude au cœur du dispositif : banques, téléphonie et cybermenaces sous surveillance

L’autre axe de la réforme concerne les outils antifraude. Dans un contexte où le Kazakhstan a perdu plus de 20 milliards de tenges en 2024 à cause des escroqueries numériques, les autorités veulent étendre les mécanismes de détection et d’intervention.

Les banques pourront désormais bloquer toute transaction suspecte jusqu’à cinq jours, refuser un paiement ou restreindre les services en cas de doute. Le tout, en s’appuyant sur une base de données centralisée gérée par le Centre antifraude national. Même les opérateurs téléphoniques sont mis à contribution : ils devront transmettre leurs informations et limiter à 10 le nombre de cartes SIM par personne. L’achat d’une carte nécessitera une authentification biométrique.

L’éventail des mesures semble complet, mais leur succès dépendra de leur exécution. Une législation ambitieuse sans moyens d’application reste lettre morte. La réalité du terrain – accès aux guichets, éducation financière, accompagnement juridique – sera déterminante.

Un crédit qui s’annule : les Kazakhs reprennent la main

Le texte introduit aussi une option pour les citoyens eux-mêmes : plus de 500.000 personnes ont déjà activé une interdiction volontaire d’accès au crédit via les registres officiels. Un geste préventif fort, révélateur de la méfiance ambiante face aux pratiques du secteur.

De plus, les commissions d’assurance seront plafonnées à 10% du montant assuré, et les frais pour remboursement anticipé supprimés. Ces gestes visent à diminuer la pression sur les emprunteurs déjà surendettés.

Derrière cette réforme, un enjeu de taille : rétablir la confiance. Non seulement entre les banques et les clients, mais aussi entre les citoyens et l’État. Car dans un pays où chaque appel téléphonique peut être un piège, restaurer un climat de sécurité contractuelle est devenu une nécessité politique autant qu’économique.

Par Rodion Zolkin
Le 05/31/2025

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