Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a signé une loi entérinant l’accord bilatéral conclu avec les Émirats arabes unis (EAU) pour la construction d’un parc éolien monumental de 1 GW dans la région de Jambyl. Ce texte ratifie un engagement annoncé dès décembre 2023, à l’occasion de la COP28 à Dubaï, entre la société émiratie Masdar – championne des énergies renouvelables – et le gouvernement kazakhstanais.
Un parc éolien, deux sites, trois objectifs stratégiques
Derrière ce projet se cache une ambition claire : faire du Kazakhstan un pivot de la transition énergétique en Asie centrale. Avec 1,4 milliard de dollars (environ 1,3 milliard d’euros) d’investissements, une capacité de production annuelle estimée à 3,4 milliards de kilowattheures (kWh) et une réduction de 2 millions de tonnes d’émissions de CO₂ par an, le pays veut frapper fort. Et rapide. La mise en service complète est annoncée pour 2028.
En réalité, ce sont deux installations de 500 mégawatts (MW) chacune qui verront le jour. Chacune sera équipée d’un système de stockage d’énergie par batteries (BESS) de 150 MW, soit un total de 600 mégawattheures (MWh) de réserve. Une précaution technologique qui anticipe les pics de demande et sécurise l’approvisionnement national.
Cerise sur la turbine, 425 kilomètres de lignes électriques haute tension (220 kV) seront posés pour relier ces infrastructures au réseau national. Objectif : assurer une meilleure intégration des capacités renouvelables, notamment entre les réseaux nord et sud du pays, historiquement déséquilibrés.
Et pour ceux qui croient encore que ce projet n’est qu’un coup de com’, le président Tokaïev oppose la stabilité contractuelle : un tarif d’achat garanti de 0,0449 dollar par kWh pendant 25 ans, avec clause « take-or-pay ». Les investisseurs, eux, ne bouderont pas leur plaisir.
Quand les Émirats arabes unis investissent dans le vent kazakhstanais
Que viennent donc faire les Émirats arabes unis dans ce vaste parc éolien ? Beaucoup de choses, à commencer par un positionnement affirmé comme puissance verte mondiale. La société émiratie Masdar détient 80% du projet avec le groupe W Solar. Les 20% restants reviennent à Qazaq Green Power (filiale du fonds souverain Samruk-Kazyna) et au Kazakhstan Investment Development Fund.
Ce montage actionnarial témoigne de l’attractivité croissante du Kazakhstan dans le secteur des énergies renouvelables. Riche en soleil, en vent, mais aussi en pétrole, le pays tente l’équilibre du funambule : conjuguer croissance économique et neutralité carbone à l’horizon 2060.
Mais attention, certains parlementaires kazakhstanais ont déjà haussé le ton. Lors des débats précédant la ratification de l’accord, plusieurs voix ont mis en garde contre les risques de déséquilibre énergétique, citant en exemple le « black-out européen » de 2022. Le message est clair : le virage vert ne doit pas faire dérailler le mix énergétique national.
Le vent tourne pour l’économie locale
Derrière les turbines, des hommes et des chiffres. Environ 1 000 emplois seront créés pendant la phase de construction, avec une centaine de postes permanents à la clé. Mieux : un programme de transfert de compétences est prévu. Les ingénieurs kazakhs bénéficieront de formations dédiées en partenariat avec les universités locales. L’objectif ? Créer une expertise nationale durable, autonome, enracinée.
À cela s’ajoute une clause d’approvisionnement local : matériaux, services, sous-traitance… tout devra prioritairement venir du tissu économique régional. Une manière, aussi, de vendre le parc éolien comme levier de développement territorial, bien au-delà des chiffres macroéconomiques.
Transition énergétique ou dépendance déguisée ?
Car derrière le discours vert, une question demeure : ce projet, aussi colossal soit-il, est-il un gage d’indépendance ou un nouveau type de dépendance énergétique ? Les Émirats arabes unis ne font pas dans la philanthropie climatique. Leur engagement en Asie centrale s’inscrit dans une logique d’expansion stratégique. Le Kazakhstan, lui, joue une carte risquée, misant sur des investisseurs étrangers pour enclencher une mutation structurelle de son modèle énergétique.
Mais peut-on vraiment reprocher à un pays riche en charbon de vouloir tourner la page ? Le parc éolien kazakho-émirati n’est ni une utopie ni un mirage. C’est un pari. Et comme tous les paris, il faudra du temps pour en mesurer les gains — ou les pertes.