Sadyr Japarov ouvre le jeu : des casinos pour booster l’économie, mais pas pour les locaux
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Le jeu n’est pas qu’une affaire de hasard : au Kirghizstan, c’est devenu une affaire d’État. Derrière les rideaux dorés des casinos flambant neufs, une stratégie économique risquée mais assumée prend forme. Mais à quel prix ?

Le Kirghizstan se tourne vers les casinos pour attirer de l’argent de l’étranger

Le 8 avril 2025, le président Sadyr Japarov a confirmé une orientation économique qui fait grincer des dents autant qu’elle fascine : la légalisation des casinos au Kirghizstan, interdits depuis 2012, est désormais pleinement effective. Ce virage politique, amorcé en 2022, vise selon lui à transformer le pays en nouvelle destination pour les joueurs internationaux… mais pas pour les locaux.

Le président ne cache pas l’objectif : injecter massivement des capitaux étrangers dans l’économie nationale. Et les chiffres semblent lui donner raison. La décision a permis le flux de « 3 milliards de dollars d’investissements » destinés à ériger des « hôtels cinq et sept étoiles » dans le pays. Converti, cela représente environ 2,8 milliards d’euros, une manne considérable pour une économie en quête de diversification.

Des casinos au Kirghizstan, mais interdits aux Kirghizes : un paradoxe assumé

À Bichkek, trois casinos sont déjà opérationnels, mais les citoyens kirghizes n’y ont pas accès. Et ce n’est pas une promesse en l’air. Sadyr Japarov martèle : « Trois casinos sont en activité à Bichkek. Jusqu’à présent, aucun citoyen kirghize n’y est entré. Et ils n’y entreront pas non plus. La police garde les casinos et les surveille. Sinon, le casino fermera automatiquement ses portes ». Une surveillance policière permanente, des caméras et des licences d’un million de dollars annulées en cas d’infraction : le dispositif est plus rigide que les portes blindées des établissements de jeu. La raison ? Le chef de l’État entend protéger les Kirghizes des « jeux d’argent destructeurs », tout en récoltant les retombées économiques issues des poches étrangères.

Un modèle économique centré sur l’hôtellerie de luxe et les licences dorées

Les licences pour ouvrir un casino ne sont pas offertes à n’importe qui : elles exigent des contreparties lourdes. « Quiconque construira un hôtel cinq étoiles se verra délivrer une licence », lançait Sadyr Japarov. Autrement dit, seule la construction préalable d’un établissement hôtelier haut de gamme donne droit au précieux sésame. Conséquence directe : dix hôtels cinq étoiles sont actuellement en construction dans le pays, ainsi qu’un hôtel sept étoiles. Ces exigences profitent aussi à l’urbanisme local. Des établissements vieillissants sont en cours de rénovation complète pour répondre aux nouveaux standards hôteliers imposés par la loi.

Une morale d’État bousculée, mais une croissance assumée

Le président Japarov ne se dérobe pas face aux critiques. À ceux qui jugent les casinos comme « haram », ou moralement répréhensibles, il répond : « L’État n’a fait qu’à y gagner ». Ce discours offensif est soutenu par un argument-massue : la disparition progressive des casinos clandestins, désormais remplacés par un secteur officiel, surveillé, taxé et profitable.

Des milliards en perspective, mais une voie incertaine

Si l’impact immédiat semble positif, la route reste semée d’incertitudes. Quelles garanties que cette manne financière ne se tarira pas dès les premiers soubresauts géopolitiques ou économiques ? Quelle stabilité fiscale face à un secteur aussi volatile ? Quelle réelle interdiction durable pour les citoyens kirghizes dans un contexte où les tensions sociales peuvent croître ?

Le modèle repose sur un équilibre fragile : des profits venus d’ailleurs, mais des règles faites ici. Le pari est risqué, mais Sadyr Japarov l’assume. Difficile de dire si le Kirghizstan sortira gagnant, mais une chose est certaine : le jeu est lancé.

Illustration www.freepik.com.

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