Privatisations en Ouzbékistan : la grande braderie des géants industriels
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Les vents du changement soufflent violemment sur Tachkent. Derrière les sourires protocolaires et les appels séduisants aux investisseurs internationaux, l’Ouzbékistan entame une opération de privatisation à grande échelle. Mais à qui profitera réellement ce grand ménage dans les joyaux de la couronne industrielle nationale ?

Le 21 avril 2025, le président de l’Ouzbékistan, Shavkat Mirziyoyev, a signé un décret historique qui pourrait redéfinir le paysage économique du pays. Au cœur de cette initiative : un vaste programme de privatisation visant à se délester de parts majeures dans des entreprises publiques stratégiques. Avec pour ambition affichée d’accroître l’efficacité industrielle et d’attirer les investissements étrangers, cette privatisation suscite autant d’espoirs que de scepticismes.

L’Ouzbékistan engage la privatisation de ses fleurons industriels

La nouvelle vague de privatisation annoncée par Tachkent touche au cœur même de l’économie nationale. Pas moins de 29 entreprises publiques s’apprêtent à être vendues, parfois presque intégralement. Parmi les plus emblématiques : UzAuto Motors, l’unique constructeur automobile national, dont l’État cédera 99,7 % du capital. Un geste fort ? Peut-être. Ou simplement l’aveu d’une incapacité persistante à moderniser les mammouths bureaucratiques.

À cette liste viennent s’ajouter l’opérateur de télécommunications Universal Mobile Systems (100% à céder), le producteur de gaz liquéfié Uzbekistan GTL, ainsi que des piliers de l’industrie lourde comme Uzmetkombinat (aciéries) ou Navoiyazot (industrie chimique), dont 75% des parts seront bradées au plus offrant.

Selon le portail Lex.uz, « le processus visera essentiellement à céder l’intégralité des participations publiques, à l’exception de quelques cas spécifiques », avec des premières ventes publiques attendues dès le 4ᵉ trimestre 2025 et un calendrier s’étendant jusqu’au premier trimestre 2026.

Privatisation en Ouzbékistan : une opération aux contours opaques

La question se pose : qui seront les véritables bénéficiaires de cette privatisation ? Car derrière les envolées lyriques sur l’« efficacité économique » et l’« attraction des capitaux étrangers », se cache une stratégie beaucoup moins transparente.

À l’évidence, l’État ouzbek entend courtiser les grandes fortunes étrangères, en s’entourant d’experts internationaux chargés de « structurer » les appels d’offres. Mais déjà, des soupçons d’arrangements de couloir émergent. Le décret présidentiel prévoit par exemple que le gouvernement examine avant le 1er octobre 2025 une offre exclusive de la société turque Anadolu Isuzu pour l’achat du Samarkand Automobile Plant. Un « examen », avant la décision de lancer ou non un appel d’offres public : appelons cela par son vrai nom, une privatisation de gré à gré maquillée.

Et ce n’est pas tout : dans certains cas, des introductions en bourse (IPO) et des offres secondaires (SPO) sont prévues pour 12 entreprises publiques, afin de céder des parts de 10% à 25% sur les marchés financiers, locaux et internationaux. Le programme, échelonné jusqu’en 2028, concernera notamment Uzbekistan Airports, Uztransgaz (gazoducs) et les Réseaux Électriques Régionaux.

Entre ambitions financières et contraintes politiques

Ce programme de privatisation n’est pas une lubie passagère : il s’inscrit dans une stratégie économique ambitieuse. D’ici 2030, l’État veut réduire drastiquement sa présence dans l’économie. Pour ce faire, un moratoire sur la création de nouvelles entreprises publiques a été instauré. Fini l’époque des mastodontes étatiques omniprésents, du moins sur le papier.

Le décret signé par Shavkat Mirziyoyev précise également que « l’obligation de participation des autorités locales dans les marchés et complexes commerciaux est supprimée ». Une révolution silencieuse, mais ô combien symbolique, dans un pays longtemps verrouillé par des intérêts bureaucratiques.

Objectifs financiers affichés pour 2025 :

– vendre pour 30 000 milliards de soums d’actifs publics (environ 2,15 milliards d’euros) ;
– assurer un retour budgétaire minimum de 10 000 milliards de soums (près de 720 millions d’euros) ;
– mettre aux enchères 115 sociétés, 659 biens immobiliers, et plus de 6 100 hectares de terres.

L’Ouzbékistan s’élance à grande vitesse sur la voie de la libéralisation économique. Mais à force de privilégier les grandes manœuvres financières sur la construction d’un marché concurrentiel sain, le risque est immense : voir l’économie nationale capturée par de nouveaux oligopoles, cette fois privés et souvent étrangers. Privatisation, oui. Démocratisation économique, pas si sûr.

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