Dans l’ombre des géants technologiques, un pays d’Asie centrale avance à pas de géant dans la maîtrise du numérique. Un taux record, un objectif dépassé, une ambition nationale : et si la prochaine puissance numérique n’était pas celle qu’on croit ?
Le 24 avril 2025, le Bureau national de la statistique du Kazakhstan a publié les résultats d’une vaste enquête sur l’usage des technologies de l’information et de la communication dans le pays. Réalisée auprès de 21.000 foyers, cette étude révèle un chiffre surprenant : 92,8% des Kazakhstanais âgés de 16 à 74 ans possèdent désormais les compétences essentielles pour utiliser efficacement les outils numériques. Un chiffre qui dépasse largement les prévisions du gouvernement, qui visait un taux de 87% d’ici fin 2025. Le Kazakhstan, souvent perçu comme un outsider dans la course numérique, est en passe de devenir un modèle de référence. Mais que cache exactement cette statistique éclatante ? Et comment se positionne-t-elle à l’échelle mondiale ?
Le Kazakhstan mise sur le savoir-faire numérique : un taux record
Dans un contexte international où de nombreux pays peinent encore à combler le fossé numérique, le Kazakhstan fait figure d’exception. « Le taux de littératie numérique des Kazakhstanais s’élève à 92,8% », peut-on lire dans le rapport statistique. Ce taux impressionnant regroupe « la part des utilisateurs maîtrisant l’usage de l’ordinateur personnel, du smartphone, de la tablette, de l’ordinateur portable, des logiciels standards, et de l’accès aux services via Internet ».
Autrement dit, la numératie kazakhstanaise ne se limite pas à une simple capacité à naviguer sur un navigateur ou à envoyer un courriel. Elle englobe un savoir-faire numérique global, couvrant l’ensemble des outils devenus incontournables au XXIe siècle. Le plus ironique ? En 2020, le gouvernement tablait sur un objectif modeste de 87% pour 2025. Trois ans plus tard, il est déjà pulvérisé.
La démocratisation de la technologie au Kazakhstan s’illustre aussi par une adoption massive des appareils numériques : 99,3% des foyers utilisent un téléphone portable, 59,9% un ordinateur portable, et 32,2% une tablette. Même les achats en ligne, longtemps marginaux, deviennent une pratique de consommation courante – avec 28,5% de la population ayant déjà commandé sur Internet, principalement des vêtements, de l’alimentation et des cosmétiques.
Littératie numérique : où se situent les autres pays du monde ?
À l’échelle internationale, la photographie est nettement moins flatteuse. D’après la Banque mondiale, en 2024, plus de 2,6 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à Internet. Cela représente environ 32% de la population mondiale. On est donc très loin des 92,8% de taux d’accès kazakhstanais.
La fracture est particulièrement flagrante entre pays à revenus élevés et faibles. Toujours selon la Banque mondiale, plus de 90 % des habitants des pays riches utilisent Internet, contre seulement 25 % dans les pays à faibles revenus. Le problème ne réside pas uniquement dans la connectivité, mais aussi dans le développement des compétences numériques fondamentales.
En Afrique, par exemple, l’Union internationale des télécommunications (UIT) note que les coûts de l’Internet mobile sont 14 fois plus élevés qu’en Europe. Cela empêche des millions de personnes d’accéder aux outils et services numériques les plus élémentaires.
Savoir-faire et ambition numérique : ce que le Kazakhstan a compris
Ce que le Kazakhstan a saisi avant d’autres, c’est que la littératie numérique est devenue une infrastructure aussi stratégique que l’électricité ou l’eau courante. Et que la souveraineté numérique ne s’improvise pas : elle s’anticipe, elle s’organise, elle s’éduque.
Alors que des pays industrialisés débattent encore de la place du numérique dans les programmes scolaires, le Kazakhstan investit massivement dans des campagnes de sensibilisation, l’accessibilité aux équipements, et l’appropriation populaire des outils technologiques. Le programme Kazakhstan Numérique, lancé dès 2018, a créé un cadre structurant pour faire de l’inclusion numérique une priorité nationale, bien avant que cela ne devienne une évidence planétaire.
Et les résultats sont là : l’usage d’Internet est presque universel chez les 16-74 ans (96,2%), les pratiques numériques sont ancrées dans le quotidien (69,6% utilisent Internet pour la messagerie, 65,8% pour les réseaux sociaux), et les jeunes générations ne sont plus les seules à en profiter.
Les champions invisibles du numérique
Le modèle kazakhstanais interroge : comment une nation que l’on associe souvent à son pétrole, à ses steppes infinies ou à ses héritages soviétiques devient-elle un laboratoire discret d’inclusion numérique ?
Une réponse possible : le numérique est moins une affaire de moyens que de volonté politique, de stratégie publique et de culture collective du progrès. Le Kazakhstan n’a pas attendu que la Silicon Valley lui tende la main ; il a préféré construire ses propres outils, sur ses propres bases, avec sa propre population.
Et pendant que d’autres pays se noient dans des rapports technocratiques sur la « fracture numérique », Astana affiche tranquillement un taux de littératie numérique supérieur à celui de plusieurs pays de l’OCDE. Voilà qui pourrait inspirer plus d’un gouvernement.
Prolongements internationaux : les efforts pour rattraper le retard
Face à ce déséquilibre criant, les organisations internationales tentent de réagir. L’UIT a récemment publié son Digital Skills Toolkit 2024, conçu pour aider les États à élaborer des politiques nationales en matière de compétences numériques. De son côté, l’UNESCO insiste sur la nécessité d’intégrer la littératie numérique dans les programmes éducatifs comme levier clé pour atteindre les Objectifs de développement durable.
Mais le fossé reste immense. Et si certains États prennent le virage, d’autres s’enlisent. Le Kazakhstan, lui, avance. Sans tambour, sans trompette. Mais avec un clavier entre les mains.