Un changement majeur s’annonce au Kazakhstan. Dans ce pays où les obligations familiales se heurtent souvent aux réalités économiques, une réforme vient bousculer les lignes. Elle pourrait rendre public un aspect jusqu’alors strictement privé : le patrimoine des personnes ayant l’obligation de verser une pension alimentaire.
La pension alimentaire, une urgence sociale au Kazakhstan
Au Kazakhstan, les autorités envisagent d’autoriser la consultation libre des actifs financiers et patrimoniaux des personnes redevables d’une pension alimentaire. Un projet jugé nécessaire par les autorités judiciaires du pays face à l’ampleur des dettes accumulées, mais qui suscite aussi des interrogations éthiques et pratiques.
Au Kazakhstan, les impayés de pension alimentaire ne sont pas une anomalie : ils constituent un fléau. Selon les chiffres du ministère de la Justice le 19 mars 2024, la dette cumulée en matière de pensions alimentaires dépassait les 20 milliards de tenges, soit environ 40 millions d’euros. Cette somme colossale illustre la dimension systémique du problème.
Dans certaines régions comme le Kostanaï, le montant total impayé s’élevait à 14 milliards de tenges début 2024. Ce n’est donc pas seulement une question de retard de paiement, mais bien une désintégration d’un pan entier de la solidarité familiale.
Les chiffres dévoilent aussi une dimension genrée inattendue : plus de 11.000 femmes figurent parmi les débiteurs de pensions alimentaires. Une statistique qui rompt avec les clichés et révèle une réalité sociale plus complexe qu’on ne le pense.
Un projet radical : l’ouverture publique du patrimoine des débiteurs
Face à ce constat alarmant, l’État kazakhstanais étudie une proposition législative inédite. L’idée, portée par l’Agence pour la protection des droits de l’enfant (AISQ), est simple : permettre à toute personne concernée par une pension alimentaire de consulter librement les actifs détenus par le débiteur. Cette mesure viserait à limiter les stratégies d’évitement de certains redevables, qui dissimulent ou transfèrent leurs biens pour échapper à leurs obligations.
Le 22 avril 2025, l’AISQ a donc fait savoir : « Nous proposons que les informations sur les biens des débiteurs soient rendues accessibles à ceux qui ont le droit de recevoir des pensions alimentaires, y compris les avocats et les tuteurs ». Cette transparence est censée faciliter les saisies, les poursuites et décourager les manipulations patrimoniales.
Kazakhstan : entre sanctions et enfermements, la traque des récalcitrants
Mais la mise au pilori public ne suffit pas. Le Kazakhstan alourdit aussi son arsenal répressif. Début 2024, la mise en place de nouvelles sanctions pénales était sur la table contre ceux qui cachent sciemment leurs revenus, avec une possibilité d’emprisonnement ferme. En janvier 2025, un homme a d’ailleurs été incarcéré dans une colonie pénitentiaire à Ridder pour non-paiement persistant de pension alimentaire. Les restrictions administratives s’ajoutent à la pression : 7.882 personnes ont vu leur droit de quitter le pays suspendu à cause de dettes alimentaires impayées, annonçait le ministère de la Justice début 2024.
Des divorces en cascade, des enfants pris au piège
La situation est exacerbée par une autre donnée sociale troublante : au Kazakhstan, un mariage sur deux se termine en divorce. Derrière chaque séparation se cache un potentiel litige alimentaire. Or, peu de dispositifs garantissent à ce jour que les pensions fixées soient réellement versées.
Le gouvernement avait bien tenté d’instaurer un fonds d’aide pour le versement des pensions en cas d’impayé temporaire, notamment via la fondation « Duyssenov ». Mais les moyens sont limités, et le dispositif reste embryonnaire.
Quand les enfants deviennent les créditeurs de leurs propres parents
Autre facette méconnue du droit kazakh : la pension alimentaire ne concerne pas seulement les enfants. Selon une publication de Inform.kz en date du 12 février 2024, les parents âgés peuvent eux aussi exiger une aide financière de leurs enfants adultes si leur état de santé ou leurs revenus le justifient. Une disposition rarement appliquée, mais juridiquement valide.
Alors que le Kazakhstan fait le pari d’une transparence totale pour enrayer les impayés de pension alimentaire, la société s’interroge : cette mise à nu du patrimoine est-elle une avancée ou un aveu d’échec ? Derrière les chiffres froids se cachent des histoires d’abandon, de conflit et de survie. Dans ce contexte, rendre public ce qui relevait autrefois du privé est peut-être la seule façon de rendre justice aux oubliés du droit familial.
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