Le 19 avril 2025, à Moscou, le Premier ministre du Kazakhstan, Olzhas Bektenov, rencontrait son homologues russes pour renforcer la coopération bilatérale. Ce sommet s’inscrit dans un contexte de bouleversement géoéconomique, marqué par un tournant inattendu : la Russie est devenue en 2024 le premier investisseur étranger au Kazakhstan.
Un record absolu d’investissements en 2024
En 2024, ce sont 4 milliards de dollars d’investissements directs qui ont afflué de la Russie vers Astana. Convertis, cela représente environ 3,75 milliards d’euros injectés dans les infrastructures, l’énergie ou encore la production industrielle kazakhstanaise. Ce chiffre place la Russie devant les Pays-Bas (3,8 milliards de dollars), qui occupaient cette position depuis plus d’une décennie.
Ces 4 milliards représentent 23,6% du total des investissements directs étrangers (IDE) reçus par le Kazakhstan, chiffré à 17,1 milliards de dollars en 2024. Il s’agit du plus haut niveau jamais enregistré depuis le début du suivi statistique par la Banque nationale du Kazakhstan en 2005. D’après l’Association des financiers du Kazakhstan (AFK), cette poussée spectaculaire illustre une stratégie claire de redéploiement du capital russe à la suite des sanctions occidentales.
Un basculement accéléré par les sanctions contre la Russie
La réorientation du capital russe n’est pas un hasard. « En raison des sanctions, les investisseurs russes redirigent de plus en plus leurs fonds vers des pays voisins, où les restrictions sont moins sévères et les opportunités plus accessibles », a-t-on expliqué à l’AFK au média kazakhstanais Kursiv.
Ce phénomène s’est intensifié depuis 2022, avec une montée en puissance régulière des flux russes : 1,5 milliard de dollars en 2022, 3 milliards en 2023, et donc 4 milliards en 2024. Cette croissance, plus que linéaire, témoigne de l’intégration économique croissante entre Moscou et Astana, facilitée par l’Union économique eurasiatique, qui harmonise les procédures douanières et d’investissement.
Une dépendance stratégique qui suscite la controverse
Mais derrière les chiffres flatteurs, les analystes tirent la sonnette d’alarme. Si ces capitaux permettent de créer des emplois et de stimuler l’économie locale, ils ne sont pas sans contrepartie. Le même rapport de l’AFK met en garde « L’augmentation de la part du capital russe dans l’économie nationale présente des risques. D’une part, elle limite la diversification des sources de financement. D’autre part, la pression croissante des sanctions internationales sur la Russie pourrait, à terme, compromettre la viabilité de ces investissements ».
Cette double peine — concentration du risque et vulnérabilité géopolitique — pèse lourdement dans le débat public. L’image d’un Kazakhstan dépendant d’un unique partenaire, dont la stabilité est menacée par un isolement grandissant sur la scène internationale, inquiète de nombreux économistes locaux.
Une répartition sectorielle révélatrice d’objectifs politiques
Loin d’être aléatoire, l’allocation des investissements russes s’inscrit dans une logique politique : énergie, transport, agriculture et industrie lourde. Des domaines stratégiques où le Kremlin a tout intérêt à ancrer son influence. Le déplacement du Premier ministre kazakhstanais à Moscou, le 19 avril 2025, a d’ailleurs été l’occasion de promouvoir la création de coentreprises dans ces secteurs.
Oljas Bektenov a rencontré les représentants du Conseil d’affaires Russie-Kazakhstan. L’objectif ? « Accroître la coopération bilatérale et renforcer les liens économiques dans des domaines prioritaires. » Rien de surprenant, si l’on considère que ces secteurs sont les plus sensibles aux politiques d’influence étrangère.
Un renversement de tendance malgré une baisse globale des IDE
Le paradoxe est saisissant. Alors même que le Kazakhstan connaît une chute brutale de ses IDE globaux — de 23,9 à 17,1 milliards de dollars entre 2023 et 2024, soit une baisse de 28%, les investissements russes, eux, explosent. Cette dissociation entre la dynamique globale et la dynamique russe illustre une mutation profonde : le Kazakhstan devient un sanctuaire pour le capital en fuite depuis Moscou.
Pour la première fois depuis 2005, le pays a enregistré un flux net négatif d’investissements étrangers : -2,55 milliards de dollars. Autrement dit, plus d’argent a quitté le Kazakhstan qu’il n’en est entré, toutes origines confondues… sauf celle de la Russie.